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Aux jeux vidéo, les constructeurs auto reconnaissants

Le 26 décembre 2010 - Par qui vous parle de , , dans , parmi lesquels , , , , ,

Remballez vos faire-parts : le jeu vidéo pourrait bien sauver le mythe automobile. Certains se réjouissent, d’autres moins, mais le fait est là : si l’automobile veut éviter l’euthanasie que notre occident urbain lui prépare depuis quelques années maintenant, elle doit se mettre au diapason des générations Y (années 80 – mi 90) et Z (années mi 90 – 2000), futures cibles de choix pour des constructeurs en crise. Et quel meilleur moyen, pour vendre sa came aux bébés des TIC, que de s’inspirer de leurs référentiels pop-culturels ?

C’est tout le propos de la « gameification » (ludification en français), dont je vous avais déjà brièvement parlé ici (et là en live, pour les heureux élus), que l’on pourrait résumer en une citation : “As the gamer generation moves into the mainstream workforce, they are willing and eager to apply the culture and learning techniques they bring with them from games” selon Lee Sheldon, professeur associé à la Rensselaer Polytechnic Institute (Why Everything Is Becoming A Game).

Porté par quelques prêcheurs-geeks acquis à la cause, le concept connait depuis peu un succès croissant, notamment dans le domaine des mobilités (cf. quelques blogs d’experts : TransID ou Transports du futur). L’automobile n’est évidemment pas en reste, et ceux qui lisent ce blog depuis ses débuts savent que le sujet me tient à coeur (cf. mon premier billet officiel et surtout la liste de liens en fin de billet). Il est donc d’autant plus réjouissant de constater que le sujet déborde aujourd’hui du périmètre des experts sus-mentionnés pour conquérir le grand public…  grâce notamment à un bel article publié il y a quelques semaines dans le supplément de décembre du Next de Libé.

Comme le dit très justement François Bellanger : « parfois certains articles rejoignent tellement vos préoccupations, que l’on a envie de les diffuser pour les faire partager ». Vous pourrez donc lire sur Transit-City l’intégralité de l’article, puis jeter un œil aux commentaires éclairants de Gabriel Plassat sur Transports du futur. Je vous épargnerai la lecture complète de l’article, préférant me concentrer sur les points essentiels (mes commentaires viennent à la suite). Le journaliste se penche notamment sur la figure de Feng Zhu, jeune designer de génie et surtout consultant extérieur pour General Motors lors de l’expo de Shanghai. Selon lui, « si la voiture de demain veut avoir une chance d’intéresser les jeunes générations, elle doit s’inspirer des règles marketing du jeu vidéo », règles qu’il synthétise ainsi :

  • « l’épreuve. Tous les jeux sont basés sur des épreuves à réussir pour accéder à un niveau supérieur. Feng Zhu propose qu’en fonction de l’utilisation de sa voiture, le conducteur passe des épreuves pour se différencier. S’il atteint un certain nombre de kilomètres, s’il va dans un lieu ou une ville en particulier, […] lui et sa voiture montent de niveau ».
  • « la récompense. Tous les jeux offrent aux joueurs des avantages à chaque passage de palier. Pour l’automobile, le conducteur pourrait télécharger des options virtuelles : un nouveau design du tableau de bord, un software pour changer la lumière d’ambiance […] Au fur et à mesure de son avancée, le conducteur se concocte une voiture qui n’appartient qu’à lui ».
  • « la mise en réseau. Le conducteur de demain devra pouvoir échanger et partager son expérience. Feng Zhu recommande de monter des mini-caméras pour filmer sa vie à bord, la publier sur YouTube et pourquoi pas créer des concours des meilleures scènes de vie en voiture, façon Vidéo Gag ou Nouvelle Star » [EPIC LOL]
  • « l’individualisation à outrance. S’inspirant du succès du tuning et aux sommes astronomiques qui y sont investies pour personnaliser une « caisse », Feng Zhu préconise de donner accès à certaines options payantes uniquement en fonction du niveau atteint (un volant en plexiglas transparent, des jantes au dessin unique, des rétroviseurs laqués…). L’objectif assumé est de se faire repérer par son voisin, ces options étant exclusivement réservées aux bons conducteurs/joueurs ».

Je ne peux que plussoyer… jusqu’à un certain point. Car si l’article a le mérite d’amener le sujet sur le devant de la scène, la vision de Feng Zhu pèche selon moi par un certain  manque de lucidité vis-à-vis des enjeux actuels de l’automobile. Je reste notamment très sceptique sur la dernière « règle » évoquée. Ainsi, l’individualisation à outrance est-elle compatible avec la voiture en partage ?

Le secteur automobile n’y coupera pas : l’heure est aux modèles économiques centrés sur le service et non plus sur l’objet (cf. la « voiture servicielle » de Chronos et plus généralement les modèles économiques du partage ; c’est d’ailleurs ce que dit Feng Zhu en filigrane, lorsqu’il offre aux constructeurs la possibilité se transformer en « community manager »). Dans cette perspective, la seconde règle me parait par contre beaucoup plus intéressante puisqu’elle autorise justement une personnalisation virtuelle de l’habitacle. On pourrait par exemple imaginer que le conducteur télécharge ses préférences via son mobile (ou son compte-client) à chaque fois qu’il emprunte une voiture en libre-service.

Mais cette quatrième règle révèle selon moi toute l’incapacité du secteur à accepter un tel changement de paradigme impliquant la fin du mythe automobile tel qu’il s’est construit au cours du XXe siècle (notamment en termes d’érotisme ^^). On le voit notamment dans les « épreuves » évoquées par Feng Zhu : « faire le plus possible de kilomètres », « faire réellement du 4×4 avec son 4×4 »… Sérieusement, est-il possible d’être à ce point déconnecté de la réalité ? Il me semble que l’industrie cherche surtout à s’auto-convaincre que de tels mécanismes lui permettront de survivre sans pour autant se remettre en question…

Symptomatique de cette inertie des représentations, les constructeurs axent aujourd’hui tous leurs efforts marketing en investissant un univers de jeux bien spécifique : les simulations ultra-réalistes du type Gran Turismo ou Forza Motorsport. La frontière entre le réel et le virtuel est aujourd’hui si ténue que l’introduction du dernier opus de Gran Turismo, sorti il y a quelques semaines, présente la chaîne de montage d’une automobile sur un air de piano. Classieux, mais franchement surprenant. Pour être honnête, j’étais sur le cul en découvrant la vidéo sur NoLife.

Le problème, qu’illustre parfaitement cette vidéo, est justement que ces simulations ultra-réalistes s’adressent davantage à des passionnés de l’automobile, c’est-à-dire déjà bien convertis. Exemple : le guide de pilotage de GT5, dans son édition collector, frôle les 200 pages, et le joueur est invité à mettre les mains dans le cambouis (virtuel) en modifiant des centaines de paramètres techniques avec un précision déconcertante. Autrement dit, l’automobile se trompe totalement de cible ; son véritable défi est au contraire de conquérir les « brebis égarés » que l’auto de papa ne fait plus rêver (en Europe, au Japon mais aussi, plus surprenant, aux USA, cf. Les américains boudent la bagnole).

C’est précisément cet aveuglement que je pointais du doigt dans l’un de mes premiers billets consacrés au sujet (et à GT5 et Forza3), publié il y a tout juste un an (ça ne nous rajeunit pas ! ^^) : Auto : l’illusion du virtuel :

« Problème : la vision de l’auto proposée par [ces simulations] est en complet décalage avec les défis contemporains de l’auto urbaine. L’industrie auto réussira-t-elle à (re)conquérir la jeune génération urbaine par cette voie vidéoludique ? Ou bien court-elle vers une nouvelle désillusion générationnelle ?

C’est le risque, tant que les résonances entre ces deux univers automobiles se borneront aux poncifs habituels. Les jeux de simulation ultra-réaliste finiront-ils par n’être qu’une caricature réservée aux nostalgiques de l’auto rutilante ? »

J’aimerais bien en savoir plus sur le profil des joueurs, et surtout sur leur niveau d’attachement à l’objet automobile… mais selon moi, le petit air de piano de GT5 vient pleinement confirmer cette intuition. Le vice du réalisme et du « sérieux » est à ce point poussé à l’extrême qu’il finit par en devenir consternant. L’industrie automobile fonce dans le mur si elle croit que de tels mythes éculés (lignes épurés et moteurs ronronnant) vont lui permettre de gagner le cœur de jeunes urbains qui, clairement, n’en ont rien à foutre de la bagnole – disons les choses comme elles sont.

Il ne faudrait pas pour autant renier le potentiel des jeux vidéo comme « ouvroirs » de créativité pour réinventer le mythe auto et l’adapter aux réalités de demain. Il s’agit à mon sens d’explorer d’autres univers vidéoludiques, mettant en scène une autre conception de l’automobile. Je pense ici aux jeux orientés arcade, qui privilégient donc le LOL au sérieux : Burnout ou les récents  Blur et Split/Second Velocity (j’en parlais ici), et bien évidemment Trackmania, qui invente selon moi le nouveau mythe automobile. Cf. ici et (extraits) :

« La voiture s’auto-parodie pour n’être plus au final qu’un jouet manipulable à l’envi. Et si c’était ça, le futur de l’auto ? »

[à propos d’une publicité MINI clairement inspirée par le jeu :] « l’uniformisation des voitures se substitue à l’habituelle hyper-spécialisation des modèles. MINI semble ainsi admettre que le futur de l’automobile n’est pas dans la différenciation de l’objet, mais dans celle de son usage »

On pourrait aussi ajouter à la liste les jeux exploitant indirectement la voiture tels que la simulation de gangster Grand Theft Auto, métaphore ô combien subtile de la voiture en libre-service, puisqu’il s’agit de la voler quand vous en avez besoin..!

Cette voiture « manipulable » est justement celle qui se profile derrière les usages opportunistes de la voiture en partage. Vous comprendrez donc que je défende bec et ongles cette conviction : si l’auto veut s’inscrire dans l’imaginaire des jeunes générations élevées au pixel, il s’agira d’arrêter de vouloir à tout prix se prendre au sérieux. C’est exactement ce que dit Transit-City lorsqu’il constate le rapprochement entre voitures et jouets d’enfants (Cars : one new toy story ?, auquel j’emprunte la photo suivante : une œuvre du plasticien Lorenzo Quinn intitulée « Vroom Vroom »).

Dit autrement : laissez-nous jouer, au lieu de vouloir nous épater les mirettes. Car c’est dans le « jeu » des modes de transports (jonglage en fonction des opportunités et besoins) que se construisent les mobilités de demain.

Et ce n’est pas avec une simulation peine-à-jouir que cet imaginaire automobile pénétrera l’inconscient collectif du déplacement.

Amen.

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Comme promis, pour ceux qui souhaiteraient approfondir la question, les quelques billets publiés ici sur le sujet :

2 commentaires

  • A ce propos as-tu entendu parler du jeu qui accompagne la Nissan Leaf qui justement gamifie ta conduite ?

  • A la lecture de ton article je me pose une question : n’y a-t-il pas un antagonisme entre le concept de ludification de la voiture et celui de sécurisation du passager/conducteur ?

    Rouler à toute berzingue et se manger un mur de pneus dans la vie réelle diffère du même acte réalisé dans la vie virtuelle. Non ?

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