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Journal d’une séductrice : les lois de l’attraction urbaine, selon Sonia Rykiel

Le 20 février 2015 - Par qui vous parle de , , , , dans , parmi lesquels , , , , ,

On ne le clame pas forcément sur tous les toits, aussi l’ignoriez-vous peut-être, mais les pubs de prêt-à-porter sont l’une de nos plus secrètes passions. Chaque spot recèle en effet d’insights en pagaille sur les appétences des consommateurs, hérités d’une myriade d’études marketo-sémiologiques payées au prix d’or par les dealers de fringues. De fait, ces publicités sont peut-être les meilleurs miroirs de l’air du temps, miroirs certes largement déformés mais qui n’en restent pas moins riches d’enseignements pour nous. Alors forcément, quand Sonia by Sonia Rykiel se décide à prendre la ville comme décor de sa dernière campagne, on sort nos scalpels urbains… et on autopsie tout ça.

SONIA RYKIEL – Exercices de séduction en milieu urbain  Just a Fluffy Day - Google Chrome

La campagne en question porte un nom de code sibyllin, et vous comprendrez que l’on ne pouvait décemment passer à côté : « Exercices de séduction en milieu urbain », déclinées en trois volets que nous allons décrypter ici. Incarnés par Juliette Lamet à travers quelques clins d’œil cinématographiques (PickpocketUn éléphant ça trompe énormément, ou encore Certains l’aiment chaud dans un style un peu moins chauvin, sans oublier le récent Paris je t’aime), les trois pubs proposent un joyeux concentré de clichés parisiens… modernisés pour l’occasion.

Le premier spot présente par exemple notre héroïne, piétonne, aux prises avec un chauffeur chauffard. Ce fait n’est d’ailleurs pas anodin : comme nous l’avions écrit dans un précédent billet, le fait que le glamour s’incarne dans des mobilités « douces » (marche, vélo, etc.) est le reflet d’un changement de paradigme, encore assez rare dans la culture populaire. Cette guerre de rue entre les piétons et les conducteurs, ici explicitée, reflète la reconquête des voies par les premiers, au détriment des seconds.

Néanmoins, le spot n’échappe pas au cliché des clichés : l’homme, dans toute sa domination virile, ne pouvait évidemment qu’être un automobiliste… et notre piétonne est d’ailleurs à deux doigts de succomber à l’offre qui lui est faite, comme si la voiture était le Graal inespéré d’une citadine en goguette. On pouffe !

On eût d’ailleurs préféré, pour être pleinement subversive, que l’héroïne achève la corrida qu’elle avait joliment entamée avec sa parka. Il y a donc encore quelques progrès à faire, mais on est en tous cas ravis de constater que la figure du « piéton-matador » perce dans l’inconscient des publicitaires. Ne reste plus qu’à placer une dernière banderille dans le capot des chauffards, et tout ira un peu mieux en milieu urbain…

Le deuxième « exercice de séduction » nous éloigne des rues haussmanniennes pour nous plonger dans les souterrains du métro parisien ; quoi de plus urbain ? La scène n’est pas sans rappeler quelques séquences plus ou moins célèbres du cinéma contemporain, notamment le superbe échange de regards entre Julie Gayet et Julien Boisselier, en ouverture du somptueux Clara et moi. On se délecte donc d’une représentation finalement assez envoûtante du métro parisien, un objet urbain inspirant que nombre de réalisateurs actuels ont pourtant bien du mal à valoriser.

Certes, on n’échappe pas à l’agaçante musique d’accordéon, autre cliché s’il en est. Mais à la différence du premier volet, ce spot à le mérite d’être irréprochable sur le fond autant que sur la forme. On s’amuse ainsi des injonctions sécuritaires, tournées en dérision par l’espièglerie de notre héroïne. Seul un petit détail fait tâche : mais QUI descend vraiment à la station Marcel Sembat ?!

Le troisième et dernier spot, le seul nocturne en milieu nocturne, est peut-être celui qui nous a posé le plus de problème lors de la rédaction de cet article. Si les deux premiers évoquaient les mutations des mobilités, celui-ci n’a pas de message clair. On y voit l’héroïne s’amuser avec une bouche d’aération, dans une relecture enthousiaste du ballet monroesque. Néanmoins, la séquence se termine par l’étrange intrusion d’un homme ayant filmé la scène – plus creepy, tu meurs. Le regard de Juliette Lamet, dans cet échange final, est d’ailleurs particulièrement déstabilisant. Est-on encore là dans la « séduction » ? Rappelons que l’héroïne danse au départ pour elle, et non pour un homme… d’où notre suspicion.

Peut-être notre regard est-il appuyé par les problématiques de harcèlement de rue, enjeu majeur dont les dénonciations commencent seulement à s’émanciper (pour de bon on l’espère) ; mais on ne peut s’empêcher de voir, dans cette apothéose assez gênante, le symptôme d’un espace public au sein duquel les femmes ne peuvent pas encore librement s’exprimer. Qu’en pensez-vous ?

Cet ultime spot a toutefois le mérite, dans la lignée des deux précédents, d’être finalement assez authentique. Et c’est bien pour cette raison que nous nous sommes amusés à les autopsier. Certes, ils réécrivent cette authenticité urbaine au prisme des valeurs de marque qu’ils sont sensés porter, et des consommateurs.rices qu’ils souhaitent séduire. Ils n’en restent pas moins précieux, car sûrement plus « vivants » que toutes les études ethnographiques sur lesquels ils s’appuient…

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