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[Lecture] La ville africaine est-elle entrée dans l’Histoire ? Hors-série du magazine Jeune Afrique

Le 7 novembre 2013 - Par qui vous parle de , , , , , dans parmi lesquels

Avant-propos : Le magazine Jeune Afrique vient de publier un intéressant hors-série consacré, vous l’aurez compris, aux mutations des villes africaines. Celles-ci connaissent en effet de profonds bouleversements, certains connus depuis des décennies, d’autres plus émergents. On sait ainsi que le continent enregistre la plus forte croissance urbaine du monde ; mais on aurait tort de résumer les villes africaines à cette seule explosion, par ailleurs très hétérogène.

Face à des défis largement plus complexes, les villes africaines se réinventent en mêlant innovations d’ampleurs et inventivité plus agile. Nous avons donc demandé au géographe Benoit Vicart, notre spécialiste ès villes africaines, de se plonger dans ce hors-série pour en recueillir la substantifique moelle… et tenter de dresser quelques ponts entre villes africaines et occidentales.

Afrique(s) urbaine(s)

Traiter des villes africaines dans leur globalité est évidemment impossible, compte-tenu de la diversité des réalités d’une ville à une autre. Il s’agit donc de donner un aperçu des différentes facettes urbaines du continent. De manière générale, si l’on retrouve des focus sur la plupart des grandes villes du continent (du chaos du Caire au renouveau de Lagos), on remarquera l’étonnante absence de Luanda, la capitale angolaise qui se transforme à grands coups de gazodollars et d’investissements chinois, et qui présente la particularité d’être la ville la plus chère au monde pour les expatriés. Du côté des thématiques, on notera que si la plupart des facettes de la ville sont abordées (avec quelques bonnes surprises), certaines comme le numérique auraient gagné à être plus abondamment développées…

Lagos : la révolution urbaine en jeu (de Monopoly)

Parmi les exemples récurrents dans ce numéro (Abidjan, Kinshasa et Johannesburg y sont aussi bien représentées), Lagos est peut être le plus emblématique. La ville a longtemps été représentative de tous les maux des villes africaines : développement chaotique, embouteillages monstres, insécurité et criminalité record, corruption. Mais les choses sont en train de changer dans cette ville de 11 millions d’habitants, par le biais d’importants projets de réaménagement urbain – les zones résidentielles ont par exemple été rapprochées des zones d’emploi pour limiter les déplacements -, avec d’intéressantes conséquences sur les transports : développement de services de bus rapides, désengorgement des grands axes, etc. La criminalité a aussi reculé grâce à des actions « coup de poing », au sens littéral : bastonnage des délinquants et destruction des commerces informels…

Lagos fait ainsi peau neuve, et redevient vivable tout en restant attractive. La ville s’est d’ailleurs illustrée sur un plan plus symbolique : Lagos est devenue fin 2012 la première ville africaine à disposer de sa propre version du Monopoly – un « signe ludique » de richesse qui inciterait à regarder la ville autrement. Le joueur commencera ainsi par investir son argent à Makoko (bidonville de Lagos), pour finir par construire des hôtels sur Banana Island, l’équivalent local de la rue de la Paix, ou par acheter l’aéroport international. Selon le déroulement de la partie, on peut aussi devoir payer une amende pour tentative de corruption, ou pire, « aller à la prison de Kirikiri » (le plus grand centre pénitentiaire de Lagos). Voilà qui donne envie de jouer, à défaut de prendre le premier vol pour Lagos.

Danser à « Kin cha-cha »

Parmi les fameux aspects de la ville africaine, celui de la vie nocturne est symbolisée dans la revue par Kinshasa, capitale de la RDC et berceau du « Soukous », musique congolaise qui s’exporte jusqu’au Kenya. La jeunesse kinoise se distrait dans les multiples bars de la ville, mais aussi dans des « play-stations » où l’on peut jouer à des jeux de société, mais surtout à des jeux vidéo, les casinos et les « kuzus », sortes de bars à la lumière tamisée où « l’on peut tout faire » (avis aux amateurs majeurs et vaccinés).

Autre facette de cet étonnant sens de la fête à Kinshasa : il arrive que l’on « privatise » la rue à l’occasion d’un mariage ou d’un baptême, lorsque la parcelle de la famille n’est pas assez vaste. Enfin, pour ceux qui n’ont guère l’occasion de passer à Kinshasa, mais qui comptent bien profiter des folles nuits africaines, Jeune Afrique vous a concocté un top 10 des bars et boîtes branchées sur le continent, de Marrakech à Jo’burg… On laissera les curieux s’y plonger.

Un pied dans le turfu

Le magazine consacre enfin un (petit) article au Kenya, pays pionnier dans le développement du numérique, prenant pour exemple le développement d’Ushahidi (« témoignage » en swahili), une solution open-source permettant aux citoyens de collecter diverses informations géolocalisées, et ainsi de recenser les violences politiques ou les catastrophes humanitaires, par exemple.

Il est aussi question de Konza City, un projet de « silicon valley » à la kenyane, qui attire les géants mondiaux du secteur. La question du numérique, qui se développe rapidement en dépit de grosses lacunes en Afrique, mériterait d’être développée dans un billet à part entière. Le continent voit ainsi se développer des applications innovantes – qui font même grincer des dents en Europe -, comme le développement des envois d’argent par SMS. D’autres applications permettent, par exemple, d’utiliser son portable comme ticket de bus.

Il est certain que cela aura un impact sur les villes africaines, qui sont déjà parfois très bien connectées et mondialisées… contrairement à ce que soutient un consultant dans une tribune du magazine, en proposant une fusion des villes africaines avec des villes du nord pour améliorer la coopération décentralisée. Sans tomber dans l’angélisme, on préférera penser que les villes africaines ont aujourd’hui suffisamment de richesses à développer pour le faire seules.

Reportage-bidons, par Léki Dago

L’hebdomadaire dresse également le portrait d’un artiste à part, un photographe et plasticien ivoirien qui s’évertue à représenter la condition citadine : Ananias Léki Dago. Ce dernier a parcouru, en flâneur-vagabond, les interstices urbains de Bamako, Johannesburg et Nairobi, en s’immergeant dans les bas-fonds de la ville comme à Soweto, le célèbre township de Johannesburg, ou à Kibera, le plus grand bidonville d’Afrique (« Mabati » pour les intimes). On concluera donc cette rapide synthèse par un aperçu de son œuvre, offrant une certaine poésie de la ville africaine. Les amateurs ont jusqu’au 24 novembre pour découvrir sa dernière exposition, « Afropolitain », à la Fondation Donwahi d’Abidjan.

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