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Mobilité et territoire : l’hexagone est-t-il (encore) un pays de bouseux ?

Mobilité et territoire : l’hexagone est-t-il (encore) un pays de bouseux ?

Le 30 septembre 2013 - Par qui vous parle de , , , ,

A l’heure ou il est de bon ton de glisser la notion de « mobilité » au moins une fois dans un écrit urbanistique, on notera qu’elle n’est pas toujours utilisée de façon pertinente. En se focalisant trop sur les modes de transports, on en oublie peut être que le concept invite avant tout à « penser le mouvement » en général. Pour aborder ce thème de manière un peu plus concrète, il nous semble à propos de revenir sur la parution d’un jeune ouvrage dont les mérites ne sont que trop peu vantés. « Réinventer la France. Trente cartes pour une nouvelle géographie. », écrit par Jacques Lévy, aborde la France sous un angle plutôt inédit. L’auteur décide en effet de s’intéresser à l’essence urbaine de notre contrée, un parti pris rare et surprenant.

La France aux Nomades !

Selon Lévy, les institutions et découpages territoriaux (départements, communes) de la France sont calqués sur un espace idéalisé, laissant pour compte les réalités économiques et sociales incarnées par sa population. En effet, depuis la Révolution, le découpage des départements est effectué en fonction de l’accessibilité du territoire « en une journée de cheval »… Face au constat navrant de cette obsolescence administrative, Jacques Lévy préconise de remplacer cette méthode par un découpage de l’espace calculé en fonction des particularités de ses habitants.

Dans son ouvrage, l’auteur ne parle pas exclusivement de mobilités, mais elles sont bel et bien au centre de son argumentation, et de sa manière de réinventer la France. En prenant en compte les réseaux, les flux, et leurs évolutions, Lévy montre notamment (à travers les exemples des services hospitaliers ou de la carte scolaire) qu’une division supposément homogène de l’espace ne va pas forcément de paire avec une meilleure accessibilité aux biens – une injonction qui prévalait il y a deux siècles mais ne correspond plus aux pratiques d’aujourd’hui.

Venons en au fait : qu’en est-il du Grand Paris ? Hé bien, il semblerait que ce problème de découpage, conjoint à une vision idéalisée de l’espace, aient des répercussions sur la façon dont on se représente et dont on gère les villes en France (et particulièrement dans le cas de Paris, qui focalise l’attention et les ressentiments).

Paris libéré, mais Paris fragmenté

En effet, contrairement aux autres grandes métropoles européennes (Londres, Madrid ou encore Berlin), Paris et son agglomération ne correspondent pas à un espace homogène en terme d’aménagement urbain et de ses acteurs. L’Île-de-France est ainsi divisée en quarante « communautés d’agglomération »1

Cette fragmentation n’est cependant pas spécifique à Paris puisque l’aire métropolitaine de Marseille se subdivise en une communauté urbaine et quatre communautés d’agglomérations, tandis que Toulouse comprend une communauté urbaine, deux communautés d’agglomération, et encore deux communautés de communes… Dès lors, cette segmentation devient un obstacle aux grands projets d’aménagement, d’où l’émergence récurrente de construire un « Grand Paris ».

Constatant que les institutions actuelles (département, région) et les différents périmètres spéciaux d’aménagement (PLU, SCOT, etc.) souffrent clairement d’un maque de moyen, et/ou de légitimité pour mener à bien leurs missions, l’auteur recommande vivement l’instauration d’une réforme. Cela dit, il ne faut selon lui pas donner trop de poids à Paris. Ainsi, on préfère procéder à des bricolages fondés sur un existant bancal plutôt que de d’entreprendre un changement radical. Le « Grand Paris »2, tel qu’on le conçoit traditionnellement, en est alors une illustration flagrante.

Grand Paris et petits bricolages

Cette véritable révolution urbaine et administrative devrait, d’après Lévy, se focaliser sur l’articulation de l’aménagement du territoire autour d’un espace fonctionnel, c’est-à-dire l’agglomération. Pour cela, il faudrait refondre les institutions existantes, renforcer le pouvoir de la région – particulièrement sur des thématiques liées au logement, à l’emploi, voire à la politique fiscale –, mais limiter celui des communes. Les départements ne seraient dès lors qu’une subdivision de la région.

Enfin, il conviendrait de repenser la redistribution des richesses – qui profite actuellement aux espaces ruraux les moins productifs3 – à l’échelle nationale.

La position de Jacques Lévy s’insère ainsi dans une conception mobile et urbaine de la France, un horizon original que la plupart des géographes et urbanistes n’a que trop rarement envisagée. Il a le mérite de dessiner les contours d’une vision neuve de l’espace, principalement centrée sur la diversité des flux et des usages de la population française. A l’heure des mutations numériques de la mobilité et de l’espace, il est grand temps que les géographes aux pieds crottés comprennent que la petite France est entrée dans la grande histoire de l’urbain !

  1. Et ne parlons pas des 1301communes, ni des huit départements… []
  2. A ne pas confondre avec le Petit Paris de nos amis Deux Degrés []
  3. Lévy pose également la question de la légitimité des institutions et de la nécessité d’un débat démocratique sur ces questions, ce qui renvoie à la question de la démocratie participative en France. []

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