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Quand la ville épouse le grand écran : entretien avec Pierre Cattan et Benjamin Lelong, de Cinemacity

Le 9 décembre 2013 - Par qui vous parle de , , , , , dans

Cela fait bien longtemps qu’on vante le potentiel des médias géolocalisés pour réinventer la balade urbaine.  C’est ce qui nous a naturellement amené vers le projet Cinemacity, une application smartphone gratuite pour promeneurs urbains et cinéphiles parisiens… 

Nous avons donc interrogé Pierre Cattan et Benjamin Lelong, vaillants soldats de la ville hybride et culturelle avec le studio Small Bang. Ils nous confient leurs objectifs, motivations et perspectives de cet enthousiasmant projet, qui réussit à marier brillamment culture populaire et flânerie digitale. 

Pourriez-vous présenter le projet Cinemacity ? Quel étaient vos motivations d’origine ? Pourquoi avoir choisi la forme d’un média géolocalisé ?

Cinemacity propose aux parisiens et aux touristes de découvrir Paris à travers le cinéma, via une application mobile gratuite sur iOS et Android, et un site Internet disponible en 3 langues (français, anglais et allemand). Cinemacity géolocalise ainsi des centaines d’extraits de films à l’endroit même où ils ont été tournés et propose des balades thématiques pour accompagner les piétons dans leur (re)découverte de la ville.

Cinemacity est aussi un laboratoire de création à travers le Cinelab. Nous venons de clore un appel à projet pour que de jeunes réalisateurs puissent nous soumettre leurs fictions balades, des créations produites par et pour Cinemacity. Les fictions balades se présentent sous la forme de mini-séries de 5 épisodes de 2 minutes et permettent de découvrir un quartier de Paris, le temps d’une histoire. Chat, réalisé par Ilan Cohen, est la première fiction-balade présentée dans Cinemacity.

La forme de Cinemacity s’est imposée à nous après avoir pensé le parcours utilisateur esquissé à travers les différents supports de Cinemacity. C’est le chemin qui permet à un utilisateur de passer de l’écran distant à l’écran situé, de la navigation depuis un ordinateur à la balade dans Paris.  Avec la plateforme web, l’utilisateur prépare ses balades, repère les films ou réalisateurs qu’il aime ou souhaite découvrir. Avec l’application mobile, il arpente les rues de la ville et voit les extraits de films à l’endroit où ils ont été tournés. L’application est un compagnon de route lors de balades-cinéma et offre une nouvelle expérience aux utilisateurs dans la découverte de Paris.

Comment avez-vous développé ce projet ? Avec quels acteurs institutionnels publics ou privés avez-vous travaillé ? 

Cinemacity est née d’une idée originale de Michel Reilhac, ancien directeur cinéma d’Arte. Small Bang, en tant que producteur délégué, a développé le concept et fabriqué le dispositif en mobilisant une équipe pluridisciplinaire composée de professionnels de compétences différentes et complémentaires. En tant que co-producteur, Arte apporte à Cinemacity, son expertise du monde du cinéma et son expérience dans la création de contenu sur les nouveaux médias. Le pôle web d’Arte est très impliqué dans Cinemacity et nos nombreux échanges nourrissent sans cesse le dispositif.

Cinemacity est un projet innovant, très lié à l’esprit du service public. Du côté de la Mairie de Paris, trois adjoints ont été impliqués dans le projet : Bruno Julliard, adjoint chargé de la culture, Jean-Louis Missika, adjoint chargé de l’innovation, et Jean-Bernard Bros, adjoint chargé au tourisme. L’implication de la mairie nous permet d’inscrire fortement Cinemacity dans le territoire parisien et dans les différentes initiatives culturelles

publiques proposées aux parisiens et aux touristes.

La Mairie de Paris a par ailleurs soutenu Cinemacity par une subvention de Bruno Juillard, adjoint au Maire chargé de la culture. Il faut également ajouter l’immense mobilisation des équipes de la Mission Cinéma et bien sûr du Forum des Images, qui est un véritable lieu cinéphile parisien dont la programmation correspond parfaitement à l’esprit ouvert et diversifié que l’on retrouve dans Cinemacity.

Enfin, l’aide précieuse du CNC nous permet également de produire des contenus originaux, les fictions-balades, ces séries en 5 épisodes de 3 minutes de réalisateurs émergents qui racontent une histoire à l’échelle d’un quartier parisien.

Quels sont les premiers bilans que vous pouvez en tirer ?

Quatre mois environ après le lancement de Cinemacity nous pouvons évidemment tirer quelques conclusions. La première est que le public a été au rendez-vous avec plus de 23 000 téléchargements de l’appli. La seconde est que cette première version doit être améliorée notamment au niveau de l’expérience utilisateur. Par exemple, les mises à jour successives de l’appli ont permis de corriger quelques bugs mineurs et surtout de permettre aux utilisateurs de partager sur les réseaux sociaux leur expérience de balade.

Sur le site nous avons considérablement remanié notre « Cinemap ». Aujourd’hui la navigation est grandement améliorée et permet à chacun de trouver ce qu’il cherche beaucoup plus rapidement. Cependant, nous continuons à réfléchir sans cesse à de nouvelles améliorations et la prochaine version de l’appli devrait être une révolution.

La géolocalisation des contenus culturels dans l’espace urbain n’est pas nouvelle en soi. Pourtant, de nombreux développeurs et de start-ups s’y sont cassé les dents. Comment expliquez-vous que vous y soyez arrivés ? En somme, quel est le « plus » de votre concept ?

Nous pensons que Cinemacity est porté par un concept fort et qu’il s’adresse à une cible très large et international : les cinéphiles et les amoureux de la ville.

Paris est l’un des plus grands décors de cinéma au monde. Les plus grands réalisateurs et acteurs ont tourné dans les rues parisiennes, du début du cinéma à aujourd’hui. Avec 10 tournages en moyenne par jour, Paris reste l’une des capitales du cinéma mondial. Et pour les parisiens et les touristes, c’est un fantasme de découvrir, en vrai, les décors de leurs films préférés.

De plus, Cinemacity est une première mondiale, aujourd’hui aucune autre ville au monde ne propose une expérience aussi aboutie mêlant découverte de la ville et cinéma.

Enfin, nous avons cherché dès le début à inscrire Cinemacity dans la programmation culturelle globale de la mairie de Paris. Nous avons établi une programmation spéciale pour Paris Plages, la Nuit Blanche ou pour accompagner les spectateurs au festival Cinéma au clair de lune. Toutes ces opérations nous permettent de drainer et de faire découvrir l’application à des publics différents.

Quel regard portez-vous sur le potentiel de ces hybridations entre technologies mobiles et urbanités ? Est-ce qu’il existe des exemples et des inspirations qui vous aurait particulièrement marqué ?

Nous sommes évidemment particulièrement attentifs à ces hybridations qui composent les smart cities d’aujourd’hui et de demain. C’est pour nous un enjeu énorme et nous découvrons toutes ces nouvelles expériences avec grand intérêt. Nous adorerions qu’un projet comme Code for America voit réellement le jour en France, avec autant d’ambitions et de talents que ce qui se fait aux Etats-Unis. Les talents et les idées, nous sommes persuadés qu’ils sont là. Il ne reste plus qu’à se regrouper, échanger, collaborer pour faire vraiment avancer les choses.

Plus généralement, quel regard portez-vous sur la « ville numérique » à court, moyen et long terme ? Avez-vous des envies de projets ou d’applications qui s’inscriraient dans la continuité de Cinemacity ?

Nous avons développé le concept de Cinemacity en pensant avec enthousiasme aux smart cities. Nous sommes un peu en amont des usages parce que pour l’instant l’accès au réseau dans la rue n’est pas idéal. C’est la raison pour laquelle nous avons mis en place un mode hors connexion qui permet de préparer sa balade cinéma en pré-téléchargeant les vidéos de Cinemacity. Avec la 4G qui se propage peu à peu, l’accès au nuage de données va transformer notre rapport à l’espace public. Une sorte de peau digitale va recouvrir progressivement notre environnement urbain.

La compétition entre les métropoles au XXème siècle s’est faite sur le terrain des équipements publics, autour des transports publics, des universités, des écoles ou encore des hôpitaux… Au XXIème siècle, cette compétition va se déplacer sur le terrain de l’accès aux services digitaux, qui permettront aux citoyens et institutions d’organiser la vie locale, de créer des services de solidarité ou de permettre aux touristes d’accéder à une visite augmentée de la ville.

Cette irruption de l’expérience physique dans nos usages digitaux nous stimule énormément, et nous sommes très heureux d’y contribuer, à notre échelle, avec des partenaires publics et le soutien des professionnels du cinéma, des artistes, des ayants-droit et des plateformes VOD.

Cinemacity fait partie de ces nouveaux services culturels que les villes vont déployer pour attirer les classes créatives. D’ici deux ans, une nouvelle génération de devices mobiles permettra de superposer les données digitales à notre champ de vision, un peu à l’image de ce que proposeront les google glass.

L’accès gratuit à la culture est un enjeu majeur de cette métamorphose de l’expérience de la ville. Espérons que cela permette de nous « descotcher » le plus possible des écrans pour nous amener à vivre des expériences sociales et culturelles nouvelles pour notre espèce. Evidement, nous avons d’autres idées d’applications qui s’inscriraient dans cette tendance. Mais c’est encore trop tôt pour en parler maintenant. Rendez-vous en 2014 !

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