23 avril 2012
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L'observatoireContributions

Les aspérités des « hipsterités » (Urbanisme)

Le 23 avril 2012 - Par qui vous parle de , ,

[Rapide article pour la revue Urbanisme (dans laquelle j’ai déjà eu le plaisir d’intervenir), sur l’arrivée dans la cité de ces « hipsters » dont tout le monde parle… Publié dans le numéro 383, consacré à la diffusion globalisée de modèles urbains.]

Hipster (n. m.) : terme désignant à l’origine les amateurs de be-bop des années 1940, et aujourd’hui un jeune individu urbain de classe moyenne, appartenant le plus souvent aux classes créatives.

Si le vocable connaît un formidable essor outre-Atlantique depuis les décennies 1990-2000, véhiculé notamment par les cultures populaires, ce n’est que plus récemment qu’il a contaminé le langage français. En quelque sorte, dans la catégorie des stéréotypes urbains, le hipster est aux années 2010 ce que fut le “bobo” aux années 2000.

Outre leur définition finalement assez vague, ces deux termes présentent nombre de similitudes, notamment leur appartenance au monde urbain. Chacun d’eux sert à décrédibiliser, de manière parfois caricaturale, une posture intellectuelle considérée (souvent à raison) comme élitiste. Le magazine en ligne Slate.fr ne dit pas autre chose dans sa tentative d’explicitation de la tendance :

“Le recours systématique au mot […] dans les conversations de fin de soirée [signale] le moment à partir duquel les argumentaires se résument à classer les choses en deux catégories : ce qui est hipster et ce qui ne l’est pas.”

Cette tendance hipster mériterait pourtant d’être analysée plus finement, notamment dans ses caractéristiques géographiques. À l’instar du bobo, le hipster est la figure de proue d’une gentrification qui touche massivement nos centres urbains. La revue militante Minorités dénonce avec véhémence cette figure dont “la principale nuisance réside dans sa capacité d’appropriation, et d’expropriation des classes populaires. En dépit de positions affichées à gauche, cette caste qui pense ‘faire la ville’ […] détruit tout ce qui précisément fait une ville, à savoir sa diversité”.

On retrouve ici une critique largement faite aux prédécesseurs des hipsters, les bourgeois-bohèmes, eux aussi sympathisants d’une gauche jugée trop décomplexée. Pourtant, en creux, le hipster apparaît comme une figure moins partiale et manichéenne que la caricature veut bien le laisser croire. D’abord, il ne serait pas aussi “gentrifieur” que ses ancêtres, même s’il participe de ce phénomène. Il est plus jeune (la vingtaine, quand les bobos arrivaient sur leurs trente ans), et donc logiquement plus précaire. Et, dans ses pratiques, il se montre plus “volatil” (cf. Slate) que ses grands frères, donc moins durablement “nuisible”.

De surcroît, les hipsters semblent pionniers de nouveaux usages, parfois vertueux, quand les bobos n’étaient qu’accompagnateurs de tendances émergentes. Ainsi, comment ne pas faire le parallèle entre le vélo à pignon fixe, étendard mondialisé du hipster, et l’essor de ce mode de déplacement, devenu enfin désirable aux yeux des jeunes générations ? Certes d’autres variables sont à prendre en compte, mais l’inscription du vélo dans l’imaginaire hype aura indéniablement contribué à ce regain d’intérêt. D’autres pratiques, notamment en matière de réappropriation du végétal dans la ville, s’inscrivent dans ce sillage. Portée par les représentations populaires du hipster, la nature suscite un nouvel enthousiasme, loin de l’image ringarde qu’en avaient jusqu’alors les jeunes (sur la réappropriation du fixie par les cultures mainstream, voire ici)

En condamnant le hipster et son impact sur les comportements urbains de manière trop abrupte, ceux qui “font la ville” se priveraient d’une clé de compréhension dans l’analyse de l’émergence des nouvelles pratiques urbaines. Ce sont dans ses aspérités que le hipster révèle toute la complexité de son inscription dans la ville.