5 août 2018
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Densha de GO! : le Japon au fil du rail

Le jeu vidéo pourrait-il en partie constituer une sorte de mémoire patrimoniale dans un pays qui en a peu ?

« La forme d’une ville change plus vite, hélas, que le cœur d’un mortel ». Quand ce vers a été composé au 19e, ses lecteurs devaient saisir aussitôt le paradoxe rhétorique voulu par le poète : pour eux, le hiératisme minéral des bâtiments évoquait plutôt l’éternité des choses.

La figure de style est sans doute moins évidente pour nous qui sommes tellement habitués à des aménagements urbains massifs et incessants. On comprend d’ailleurs encore mieux la nostalgie de Baudelaire face à la transformation de son Paris sous les traits de règle d’Hausmann : combien de nos paysages affectifs ont-ils déjà disparu, remplacés par un parking ou absorbés par un complexe commercial ?

Parmi les capitales qui changent vite, Tōkyō fait figure de cas d’école. Building au design audacieux, petit immeuble d’habitation étroit, n’importe quelle construction peut être frappée par les avis de démolition. Comme l’écrit Satô Shinichi, « la ville semble vouée à devoir toujours changer et il suffit de la parcourir pour constater que les nouveaux projets de construction font partie intégrante de ses caractéristiques propres. »

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Si l’identité de Tōkyō semble donc bien tenir dans le changement, la mémoire de ses états transitoires semble avoir été longtemps lacunaire, jusqu’à parfois étonner les Japonais eux-mêmes : lors du développement d’un épisode de la série Densha de GO! proposant de conduire une rame de train sur la célèbre ligne circulaire Yamanote dans les années 60 (Nintendo DS, 2010), les producteurs, Minoru Mukaiya et Yosuke Tsuda, se sont ainsi rendus compte qu’il n’existait « absolument aucun film d’époque, y compris dans les archives télévisées » du trajet vu depuis un wagon[1]. De leur propre aveu, « c’était un peu surprenant [pour] une icône aussi célèbre que la ligne Yamanote, en plein Tōkyō ». Faute de mieux, l’équipe a donc dû se contenter de photographies aériennes pour reproduire « les types de bâtiments et leur hauteur », défaut de documentation qui doit expliquer en partie le peu d’estime que lui portent beaucoup d’amateurs de la franchise.

Akira Saitō, le créateur de Densha de GO!, a d’ailleurs souligné les problèmes rencontrés lors du développement du premier épisode (1997) à cause de ce Tōkyō protéiforme :

« C’était difficile car je voulais être fidèle. […] Il y avait beaucoup de bâtiments en construction à cette époque, et le paysage urbain ne cessait de changer. Donc j’ai demandé aux membres de mon équipe de prendre chaque ligne au moins dix fois, en restant derrière la cabine du conducteur. »[2]

Vingt ans après, on peut toujours féliciter Saitō et son équipe d’avoir réalisé un jeu à la hauteur de leurs ambitions, comme le montrent ces comparaisons entre paysages réels et leur reproduction sur la ligne Tokaidō entre Kyōto et Ōsaka et sur la ligne Keihin-Tōhoku (entre Shinagawa et Yokohama)[3] :

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Un point sur cette série est sans doute nécessaire pour la plupart des Européens : « pas vraiment adapté pour les marchés occidentaux »[4], aucun épisode de ce simulateur de conduite de train n’a en effet été commercialisé chez nous. Au Japon par contre, Densha de GO! (« Allons-y en train ! ») a tôt fait de sortir des salles d’arcade où il a commencé sa carrière pour devenir un phénomène de société. Son succès commercial immédiat a pris tout le secteur de court[5], de Saitō lui-même qui l’avait conçu comme un « jeu de niche », à son propre employeur, Taitō (mondialement célèbre pour Space Invaders), qui ne croyait plus guère en son game designer[2].

Le jeu connaîtra trois autres épisodes en arcade produits par Saitō (dont le dernier, en octobre 2000, a beaucoup divisé les habitués : les tramways, particularité de l’épisode, ne freinent pas comme des trains), avant de se replier sur consoles avec beaucoup de déclinaisons inédites (et bien moins soignées). Akira Saitō quitte Taitō en avril 2013, peu après que l’entreprise ait annoncé l’arrêt de nouveaux projets pour la série, ce qui n’a finalement pas empêché la sortie d’un nouvel épisode en arcade en 2017 avec une équipe de développement entièrement renouvelée.

Une dimension documentaire et mémorielle

Si au Japon « la ville s’est construite autour des lignes de chemin de fer »[6], alors Densha de GO! pourrait bien être, par son souci de réalisme, un moyen d’observation des particularités de la ville japonaise, et ce d’autant plus que si l’on admet que « rien ne vous donnera une vue plus sincère [d’un] pays que le train »[7].

Prenons Tōkyō puisque ses lignes ont souvent été reproduites d’un jeu à l’autre, en prenant en compte le risque de miroir grossissant qu’entraîne le fait de regarder une ville depuis ses voies ferrées : non seulement le paysage ferroviaire d’une ville ne peut résumer entièrement son paysage urbain (on repérera difficilement ses rues étroites, ses entrelacs de fils électriques, ses façades de néon, etc.) mais il a ses propres particularités : les immeubles s’agglomérant autour des gares, la ville pourrait paraître plus verticale et dense qu’elle ne l’est dans sa globalité.

Vu du train, on repérera en tout cas sans mal les caractéristiques de l’espace urbain japonais, l’empilement des voies et des routes, le manque d’alignement du bâti (machinami) ou son (in)esthétique particulière, mêlant côte à côte des immeubles au style très disparate.

Conduire sur la célèbre ligne Yamanote permettra également de repérer, derrière la massivité de plusieurs gares, comme celle de Shibuya par exemple, qu’elles sont tout autant des infrastructures de transport que des centres commerciaux géants.

Une station plus loin, on croise entre Ebisu et Meguro ces zones pavillonnaires si caractéristiques de la capitale japonaise (celles-là mêmes « qui font obstacle à une utilisation plus pointue de la ville » selon un important promoteur immobilier en 2010, à cause de l’extrême morcellement des parcelles, de leur prix et de la rareté des procédures d’expropriation).

Par ailleurs, la série ayant fêté ses vingt ans, et dans ce contexte particulier d’« amnésie architecturale » (selon l’expression de Natacha Aveline), les différents épisodes de Densha de GO! se révèlent être un moyen (certes parmi d’autres[8]) de garder une trace d’un état ancien des villes, et donc de leur évolution.

D’un épisode à l’autre, on peut ainsi remarquer l’apparition d’annonces traduites en anglais sur la ligne Yamanote, assister à certaines modifications dans les gares, par exemple l’installation de portes palières basses pour éviter les accidents, comme ci-dessous à la station Harajuku (Densha de GO!!, 2017).

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À propos, on peut d’ores-et-déjà regretter que le dernier jeu d’arcade, malgré sa structure panoramique sur trois écrans, ne permette d’admirer la gare en structure bois ouverte en 1924 : le bâtiment pourtant très apprécié par la population (mais terriblement sous-dimensionné) va être remplacé par un bâtiment plus moderne d’ici les Jeux Olympiques de 2020.

Autre exemple à la sortie de Densha de GO! PLUG& PLAY en décembre 2017 (en fait l’épisode Densha de GO! Final publié en 2004 sur PS2 et inclus, à la manière de la NES Mini, dans une console/manette se branchant sur prise hdmi) : comme en témoigne Otsuka Keiichiro,

« après l’arrêt à Takichawa, je me suis rendu compte que le paysage était différent de celui auquel j’étais habitué. La modélisation datant d’octobre 2003, elle reproduisait la section telle qu’elle était avant la surélévation des voies. »

Densha de GO! Nagoya Railroad, sorti exclusivement sur Playstation et PC en 2000, garde également la trace de deux itinéraires abandonnés depuis, le monorail du zoo d’Inuyama et la ligne Minomachi.

Le cas de la ligne San’in entre Kameoka et Kyōto est enfin assez particulier. Outre qu’il s’agit de celle que les joueurs débutants sont incités à essayer en premier, c’est aussi la plus bucolique jamais modélisée au cours des divers épisodes. L’idée de l’inclure dans le premier épisode ne s’est pourtant imposée que tard lors du développement, à mesure que d’autres itinéraires plus fréquentés comme les lignes JR Yokozuka, JR Yokohama ou encore la ligne circulaire d’Ōsaka étaient recalées, essentiellement à cause de leur paysage décevant (début dans un tunnel, trop rectiligne, trop d’autoponts…)[9].

Elle avait un autre avantage, comme Akira Saitō l’expliquait : « Nous n’avions pas beaucoup de temps pour réaliser le jeu… Alors avec une ligne que je connaissais très bien, je savais quoi y inclure. »[2]. Saitō l’avait en effet prise les 4 ans où il faisait le trajet de Kyōto jusqu’à Kameoka pour étudier à la Kyōto Gakuen University (entre 1983 et 1987 environ). Il la connaissait donc effectivement très bien, à ceci près qu’en 1997, date du premier épisode, cette ligne n’existait plus depuis longtemps : elle avait fermé en mars 1989, quand la voie a été entièrement électrifiée et redoublée ; les trains traversaient depuis les gorges par 6 tunnels, évitant précisément la partie si belle et serpentueuse du trajet.

Évidemment, toutes ces comparaisons basées sur les jeux ne peuvent valablement se faire qu’à la condition que les routes aient été correctement reproduites, et on doit noter que les erreurs de toutes sortes ne manquent pas, à commencer par les distances entre les stations qui n’ont longtemps pas été respectées (Minoru Mukaiya relevait avec satisfaction que l’épisode DS qu’il avait produit était le premier à « reproduire correctement la longueur de la route »[1] entre les arrêts de la Yamanote).

Les biais qui touchent la représentation fidèle de la ville s’avèrent donc nombreux et il faut les garder en tête : les limites de documentation sont souvent importantes, par manque de documentation comme on l’a dit ou à cause des contraintes de temps et de moyens (prendre « une dizaine de fois »[2] une ligne pour la reproduire paraît bien peu).

La reconstitution de la San’in Line comporte également quelques anachronismes, comme un pont visible dans le premier jeu (supprimé dans Densha de GO!3) ou l’arrêt dans une gare qui n’ouvrira que la semaine suivant la mise en service de la nouvelle ligne.


Section de la ligne réelle en 1989 et sa reproduction[3], le premier pont de la nouvelle voie est bien omis, mais pas celui d’après dans l’épisode de 1997 et sa déclinaison « Professional » de 1999 (Ouvrir l’image dans un nouvel onglet pour l’agrandir)

Autre défaut, les bâtiments les plus remarquables sont rarement repris à l’identique, autant sans doute pour limiter le travail de modélisation que pour éviter d’éventuels problèmes de propriété intellectuelle – à noter cependant que la position, la couleur, la taille sont en général respectées.

Une vision idéalisée du train et de sa route

Pour une franchise qui s’est toujours caractérisée par une modélisation un peu frustre, le choix du moteur de jeu Unreal Engine 4 pour le nouvel épisode en arcade (Densha de GO!!, avec un deuxième point d’exclamation) a marqué un tournant qualitatif énorme.

La qualité de reproduction du paysage est désormais impressionnante, mais cette beauté nouvelle doit rester toute aussi suspecte que les graphismes approximatifs des jeux précédents. Le nom du moteur graphique dévoile à ce titre les intentions des développeurs, car on reste effectivement dans l’irréel : comme l’expliquait Kazuyuki Ikumori (supervision visuelle du jeu),

« En plus de reproduire le décor, j’ai ajusté délicatement la couleur et la saturation pour le rendre plus beau. Je veux qu’on ait envie d’y être, que l’on soit fan de chemin de fer, parent ou enfant, en créant des choses que tout le monde peut apprécier »

Dans le même épisode, le fait même de démarrer à Harajuku (capture d’écran ci-dessus) a été guidé par une volonté similaire d’attirer le regard avec une station « où le paysage était beau » (Kentarō Kawashima, producteur du jeu d’arcade jusqu’en février 2017).

Cette volonté d’embellissement peut aller jusqu’à contribuer, volontairement ou pas, à une forme de roman national comme dans l’épisode sur console Nintendo DS déjà mentionné – dont on pourrait traduire le titre complet par « Allons-y en train édition spéciale, revivez la ligne Yamanote de l’ère Shōwa ».

En fait d’ère Shōwa, le jeu cible plus spécifiquement le deuxième tiers du règne de l’empereur Hirohito, durant lequel le Japon regagne une stature internationale et où le pouvoir d’achat et le confort augmentent très vite.

Ces « Shōwa thirties » (1955-1965) ravivent pour les Japonais le cliché d’une période heureuse, presque un paradis perdu (les stéréotypes ne s’embarrassent pas de nuances, et cette nostalgie évacue soigneusement les difficultés importantes de l’époque – la pauvreté encore gigantesque, la criminalité très importante, la corruption et la surveillance de quartier généralisées…).

Le jeu rassemble en effet des monuments qui n’ont pas existé simultanément, signalant davantage par là une volonté de célébration d’une période entière (« de Shōwa 30 à Shōwa 50 »[1], de 1955 à 75) que la recherche tatillonne du détail vrai : on croisera ainsi par exemple, sur le même parcours, le téléphérique qui a relié deux magasins à Shibuya de 1951 à l’année suivante et la Tour de Tōkyō à mi-construction (été 1958 d’après l’avancement des travaux).

Le motif de cette tour à mi-hauteur mérite qu’on s’y arrête : la construction n’ayant pris qu’une année et demie, ce monument figé à mi-construction peut difficilement être un souvenir qui aurait particulièrement marqué la population. On le retrouve pourtant au même stade de construction dans pas mal d’œuvres, notamment le premier film d’une trilogie extrêmement populaire là-bas, Always: Sunset on third street (elle-même inspirée d’un manga publié sans interruption depuis 1972). Dans les deux cas, outre un moyen de dater précisément la période représentée, il s’agit sans doute aussi d’insister sur la dimension éphémère, transitoire et révolue de Shōwa.

Remarquons aussi que la portion Shōwa du jeu se déroule toujours sur fond de soleil couchant, prolongeant là encore un cliché prégnant au Japon dans la représentation élégiaque de cette période.


Partie de décors d’Always et musée du Ramen à Yokohama, un des quelques parcs de restaurants qui reconstituent un quartier type Shōwa.

Densha de GO! DS ne se borne cependant pas à une représentation nostalgique du passé, il se double également d’un discours positif sur le présent. En effet, en proposant de conduire aussi sur la ligne Yamanote actuelle, bref en insistant sur les correspondances entre les deux époques, le jeu produit l’idée d’un progrès continu et planifié, comme si les baraquements en bois, les grues et les immeubles bas préparaient le Tōkyō plus verticalisé d’aujourd’hui.

Son discours le plus engagé, la série le réserve cependant aux transports en commun, au point d’évacuer largement leurs défauts bien réels : les horaires de conduite évitent ainsi soigneusement les heures de congestion des transports, et même dans ces rares cas, les gares sont loin d’être bondées : les usagers, généralement épars, paraissent sages et résilients. C’est particulièrement vrai pour le mode de jeu Shōwa, pourtant frappé à l’époque par « l’enfer des transports » (tsûkin jigoku) : « en 1950 le taux de surcharge des trains excédait déjà 200 % en moyenne à Tôkyô, allant jusqu’à 280 % sur la Yamanote et 340 % sur la ligne Chûô de la JR, dix ans plus tard il s’établissait partout aux alentours de 300 %, en dépit des importants efforts consentis pour le réduire. »[10].


Outre cette gare dépeuplée à 17h, on remarque également que les usagers sont tous en habit traditionnel, autre idéalisation de la période.

Ces gares à moitié vides sont évidemment la conséquence des limites d’affichage et pas d’une décision des développeurs, mais cela contribue malgré tout à la fiction d’une offre de transport apaisée, fonctionnelle et maîtrisée, loin de la réalité à laquelle ces jeux prétendent coller.


Photographie: Tōkyōform.

En cela, on touche probablement à une part du succès de la série, qui doit parfois tenir à une forme de catharsis, sinon de revanche : ces jeux permettent en effet de profiter d’un spectacle que le remplissage outrancier des rames, le stress et la fatigue interdisent au quotidien. En devenant le pilote et pas l’usager, en transformant le moyen de transport en fin ludique en soi, en mettant en avant le trajet et pas sa destination, on réenchante des migrations pendulaires qui n’ont rien de paradisiaques au quotidien : le changement de rôle s’accompagne ainsi d’un changement de point de vue (du panorama-travelling à la percée) et, partant, de regard.

Ces contraintes techniques avaient aussi leur part dans la métamorphose de Kameoka dans le premier épisode, cette ville de la proche banlieue de Kyōto (76000 habitants en 1985, 20 000 de plus aujourd’hui) et qui, dans le jeu, n’a plus grand-chose d’urbain : elle semble perdue dans un océan de rizières.

Pour autant, Akira Saitō s’étant largement basé sur ses souvenirs pour reproduire le trajet, les deux premières gares du parcours ne sont cette fois-ci pas seulement les conséquences d’une modélisation simpliste mais également le témoignage du paysage mental du game designer, pour qui Kameoka est demeurée plus campagnarde qu’en réalité.


Sortie de la voie lente de la gare d’Umahori (Kameoka) dans le premier épisode et plus réaliste dans le 3 (au milieu) et vue depuis la voie express en 1989 (à droite)[11].

À l’entendre se remémorer ce « paysage merveilleux »[2] (les rizières avant d’entrer dans les gorges, les barques traditionnelles en contrebas, jusqu’à la célèbre forêt de bambous d’Arashiyama à la sortie du tunnel), on comprend d‘ailleurs que la beauté des gorges a simplement « contaminé » dans son esprit la ville adjacente :

« Ce train qui longeait la rivière était un lieu hors de la vie quotidienne et universitaire, et je me rends compte à quel point c’était un temps précieux pour l’étude, la lecture, un véritable luxe qui permettait de vider son esprit. Voilà 14 ans que j’ai déménagé à Yokohama pour le travail, et maintenant que je ne peux rien espérer d’aussi agréable ni d’aussi apaisant, les 4 années que j’ai passées à Kameoka me paraissent incroyablement importantes. Je m’en suis rendu compte récemment, mon affection pour Kameoka et les gorges d’Hozu ne tient pas tant à la nostalgie de mes années étudiantes qu’à une chose plus importante : c’était un rythme de vie détendu, agréable et, pour un peu qu’on ait étendu les jambes, quel privilège d’admirer la nature environnante ! »[12]

La majesté du parcours n’a pas échappé aux autorités locales puisque la route abandonnée a été reconvertie en itinéraire touristique depuis 1991. Des cerisiers et des érables y ont été savamment plantés et, pour multiplier encore les points de vue à photographier, le train de quatre wagons n’y dépasse plus les 25 km/h.

L’animé japonais « 5 cm par seconde », une ode romantique au train local japonais

Aujourd’hui qu’il n’existe plus qu’une ligne rapide sans panorama et l’ancienne voie trop chère et trop lente pour être utilisée par les habitants, la reproduction de la « vieille portion de la ligne San’in »[9] est sans doute le plus grand mérite de la série entière, au-delà d’avoir gardé la trace de tel immeuble, de tel groupe de maisons ou de telle infrastructure disparue.

Sur cette ligne plus qu’ailleurs, le jeu ressuscite à la fois la « forme » du trajet et son effet sur le « cœur » d’un jeune homme : 7 kilomètres et quinze minutes durant, chaque partie recrée ainsi la mémoire d’une migration pendulaire enchantée, le long d’une voie dont la beauté n’avait pas encore été monétisée, simplement offerte en sus du prix d’un ticket pour rentrer chez soi ou aller travailler.

Notes

1. Interview de Minoru Mukaiya et Yosuke Tsuda pour la sortie du jeu DS. Pour l’anecdote, Minoru Mukaiya est plus connu chez nous pour sa participation au groupe Casiopea. Sa passion pour les trains l’avait amené également à développer avec son entreprise Music Hall le principal concurrent de Densha de GO!, Train Simulator/Railfan, avant de se tourner vers des simulateurs professionnels. Ce même Mukaiya a également composé beaucoup de « hassha merodii », ces jingles exclusifs à certaines gares (l’épisode qu’il a produit est par conséquent celui qui en reproduit le plus grand nombre).

2.Interview d’Akira Saitō réalisée pour le premier épisode de l’émission japonaise GameCenter CX, 2003. La vidéo est disponible à cette adresse.

3. Les images proviennent du guide de jeu Densha de GO! Untenshi Yosei Manual, Haoh game Special 107, Kodansha, 1997.

4. Revitalizing The Legacy: An Interview With Taitō’s Keiji Fujita. Ce même Fujita classe Densha de GO! comme « la licence de Taitō qui rencontrait le plus de succès », alors même qu’à l’époque de l’entretien, en 2008, plus aucun nouveau jeu n’était en cours de développement.

5. On avance généralement le million d’exemplaires vendus pour l’adaptation du premier jeu d’arcade sur Playstation, tandis que le fabricant de la manette dédiée (facultative et onéreuse) parle de 700 000 unités produites pour le premier moule (utilisé au moins pour les versions PS, Saturn et PC) – et évoque, dans le même entretien, ses difficultés à produire assez de manettes pour soutenir les ventes. Les ventes des autres versions ont eu beau se tasser ensuite, chaque console japonaise en a cependant accueilli au moins un épisode entre 1997 et 2005, des portables (GB Color, WonderSwan, NeoGeo Pocket Color, PSP) aux consoles de salon (PS1, PS2, Saturn, Dreamcast, Nintendo 64), le tout sans compter les jeux électroniques, ceux sur téléphones portables…

6. Claude Leblanc, « Densha mon amour », Mangapolis, Le Lézard Noir, 2012, p.108.

7. Felix Van Groeningen, La Merditude des choses, 2009.

8. On trouve désormais sur Youtube de nombreuses vidéos prises depuis la cabine du pilote pour un grand nombre de lignes. La pratique, largement facilitée par la démocratisation des moyens de prises de vue, remplace une petite niche de VHS et DVD qui proposaient strictement la même chose. Revues et sites web consignent enfin également les changements intervenus sur leurs lignes préférées.

9. Interview d’Akira Saitō dans le guide de jeu Densha de GO! Kanzen clear he no tabiji Gamest Mook n°82 en juin 1997.

10. Natacha Aveline, La ville et le rail au Japon : L’expansion des groupes ferroviaires privés à Tôkyô et Ôsaka, chapitre 2 [en ligne], 2003.

11. La capture d’écran de droite provient du film du dernier trajet sur la ligne San’In avant électrification, enregistré le 4 mars 1989.

12. « Dans le train en marche, 4 années privilégiées à lire et à étudier pour les examens », publié le 4/11/2001. Le game designer inaugure ici une rubrique du Kyōto Shimbun où un notable témoignait de ses liens avec Kameoka et sa région. Shigeru Miyamoto, un des pères de Mario et Zelda, entre autres, est le 8e (à propos de la colline Mokugi, juste à côté de Sonobe, son village natal), Steven Seagal le 53e.

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