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Conviviaux, seront les centres commerciaux ! #1

Le 6 octobre 2015 - Par qui vous parle de , , , , , , ,

Alors que l’on parle beaucoup de la fin de vie de centaines de malls américains depuis quelques temps, l’immobilier commercial se porte, à l’inverse, plutôt bien dans d’autres parties du globe. En France, l’offre semble plus féconde que la demande, qui faiblit ces dernières années, comme nous l’expliquions dans un billet dédié sur le blog Demain la ville. Dans le même temps, certaines mesures récentes ont été prises afin de rééquilibrer les disproportions associées aux constructions commerciales inopportunes dans un contexte socio-économique saturé ou instable.

« Pour lutter contre ce développement incontrôlé de la grande distribution, les lois ALUR et Pinel de mars et juin 2014 sont venues renforcer les règles de procédures, notamment dans une perspective de lutte contre l’artificialisation des sols et la revitalisation des centres-villes. » (cf. L’Urbanisme commercial, publié par le Conseil National des Centres Commerciaux)

 

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N’allez pas croire pour autant que l’immobilier commercial est en berne totale. De fait, les temples de la consommation pullulent ou se renouvellent  ici et là sur l’ensemble du territoire français. A titre d’exemple, le centre-ville d’Aix-en-Province s’est doté d’un nouveau point de rendez-vous marchand de 35 235 m² en avril dernier ; l’entrée de ville de Saint-Etienne prévoit quant à elle de se munir de 52 000 m² de surfaces de vente d’ici 2018. Et elles sont loin d’être les seules… A côté de ces nouveaux projets, les vieux centres commerciaux des années 1970 s’agrandissent et se modernisent à l’image du Forum des Halles (à venir) ou de Beaugrenelle à Paris, qui a rouvert ses portes il y a deux ans déjà.

Cela dit, la nouvelle peau des centres commerciaux va souvent de paire avec une promesse coûteuse et risquée que l’on calcule en chiffre d’affaire et en taux de fréquentation annuels. Une fois sur pied, ces centaines de projets ne devront plus simplement allécher ou envoyer du pâter, mais bel et bien fidéliser leur clientèle…

Ô comme il est beau, mon centre commerciaux

Plusieurs atouts sont alors attendus dans ces galeries marchandes nouvelle génération, incarnés par :

– une offre de services plus large couplée à une accessibilité facilitée (proximité),

– l’assurance d’un assortiment de marques défiant toute concurrence (O’Parinor se met bien avec l’arrivée en mars 2014 de Primark au sein de ses murs),

– ainsi qu’une certaine « surenchère de contemporanéité » mêlant nouveaux usages digitaux et décors clinquants. Jugés plus classes ou plus luxueux, ces temples de l’achat et de la balade dominicale plaisent aussi bien souvent pour le simple fait qu’il y a de beaux écrans partout1.

« This mall has so many stores that have been changed. It’s really sad. And it should change » 

A l’extérieur, un certain nombre de ces centres commerciaux « nouvelle génération » essayent également de s’intégrer tant bien que mal au reste de la ville, appartenant à un projet urbain plus étendu. On pense par exemple au prochain grand centre commercial de la banlieue toulousaine proche (prévu pour 2017), qui fait partie intégrante d’un programme d’aménagement urbanistique plus large. De la même manière, le résultat final promis pour le réaménagement des Halles de Paris se ne présente pas simplement comme une modernisation des galeries commerciales souterraines existantes, mais comme « le nouveau cœur de Paris » (rien que ça)… Derrière ces ambitions urbanistiques qui se ressemblent, plusieurs prétentions sont régulièrement avancées : repeupler/redynamiser une zone, « réconcilier nature, loisirs et commerces » et bien sûr… créer du lien social :

« Dans les projets de la Part-Dieu comme de Confluence, la volonté de valoriser les espaces publics est fortement présente. Celle-ci a vocation à favoriser les rencontres et à faire des deux quartiers des espaces de vie et de convivialité, c’est-à-dire des espaces habités. En d’autres termes, les projets cherchent à favoriser l’ « urbanité » dans ces espaces. » cf le compte rendu du département géo de l’ENS sur les grands projets urbanistiques lyonnais (2013-2014)

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Le gros mot est enfin lancé : c’est bel et bien le développement de convivialités dans ces nouveaux espaces commerciaux que visent aujourd’hui les grands projets urbains. Car tout le monde l’a bien compris, la concurrence est rude et le chaland moderne n’a plus de temps à perdre pendant ses pérégrinations marchandes. Les courses ne doivent plus rimer avec corvée, mais bel et bien avec plaisir autant qu’avec praticité.

Du shopping, et plus si affinités

De ce point de vue certains signes ne trompent pas, comme le développement cette année de l’application « Meet my friends » par le géant Unibail-Rodamco à l’intention des clients des centres commerciaux du groupe. Ce service de géolocalisation sociale indoor permet ainsi de « se géolocaliser et de retrouver ses amis présents dans le centre au même moment pour faire du shopping en groupe. » L’idée ne sort donc pas de nulle part, et montre bien l’importance dans la stratégie actuelle des grands promoteurs, de défendre et faciliter le caractère socialisant de ces galeries marchandes dernier cri.

Un « live escape game » avec Meet my friends aux 4 Temps de la Défense

Cet aspect n’est certes pas nouveau. La fermeture progressive des hypermarchés dans les zones commerciales mutualisées illustre d’ailleurs cette évolution. Les grandes zones commerciales se libèrent de la sorte d’un stéréotype assez pesant : celui d’être associées à la besogne des provisions en promo, et tout ce qui va avec (notamment la foule et le stress). Pas sûr que les familles nombreuses, parents débordés, ou couples installés soient encore la proie N°1 des centres commerciaux qui ouvrent actuellement leurs portes.

Et si c’était plutôt les jeunes – ces consommateurs-frimeurs-dragueurs en goguette – qui devenaient le cœur de cible de ces espaces, où faste rime avec modernité ? Sous l’angle de nos territoires vieillissants, l’hypothèse est certes quelque peu audacieuse. L’observation récente de mobiliers anti-skate et autres dispositifs sonores pour éloigner les moins de 25 ans dans le nouveau jardin des Halles a eu le don de nous mettre le doute… D’ailleurs, une grande partie des services délivrés dans les centres commerciaux continue à s’adresser en priorité aux familles (prêt de poussettes, ateliers pour les enfants etc.) ou aux personnes plus aisées que nos braves lycéens et étudiants (cireuse à chaussures, « personal shoppers », services de consigne et conciergerie etc.).

Mall & chill

Ailleurs dans le monde, la question des convivialités est en tout cas primordiale pour comprendre l’importance prise par les espaces commerciaux dans le parc immobilier de certains pays. C’est notamment en Afrique et aux Philippines que les enquêtes récentes sont les plus saillantes. Un premier article publié sur Slate Afrique il y a quelques semaines s’intéressait aux pratiques de la jeunesse algérienne dans les nouveaux pôles de consommation qui fleurissent sur le territoire. Proposant un mode de vie plus « à l’occidental », ces immenses espaces au sol brillant font de plus en plus office de lieux de flânerie, à la mode chez les jeunes locaux. Reconnus par les personnes intervewées sur place comme de véritables berceaux de sociabilité, celles-ci déclarent y rechercher l’anonymat et la rupture avec certains aspects de la société algérienne jugée « conservatrice, traditionnelle et hiérarchisée« . Le sociologue Tahar Drici témoigne :

« La fin du terrorisme a suscité une envie de détente et de sorties, qui a été rendue possible par ces centres où jeunes hommes et filles se retrouvent pour flirter car ils se savent à l’abri du regard moralisateur de leurs proches. »

Le baby boom à venir des pays émergents aura-t-il lieu dans un centre commercial ? Le phénomène semble tout aussi frappant en d’autres lieux du continent africain. Un second article, toujours chez Slate Afrique, relatait ainsi les usages de la communauté indienne d’Afrique du Sud au sein du luxueux Suncoast Casino, à Durban.

« Au milieu des nombreuses familles qui léchaient les vitrines et s’emplissaient le ventre de poulet frit ou de calamars, des dizaines de jeunes couples flirtaient de façon parfaitement anonyme dans cette ambiance de fête. Dans les salles du cinéma du complexe commercial, les couples d’adolescents ou de jeunes adultes qui s’échangeaient des baisers dans le noir comptaient mêmes pour une bonne moitié du public. »

A l’instar du centre commercial de Bab Ezzouar à Alger, celui de Durban incarne un lieu de rencontres et de drague privilégié pour une partie de la population urbaine. Rôle que la ville en plein air ne satisfait pas forcément pour les raisons évoquées plus haut. En plus d’être bien desservis par les transports en commun, ces grandes surfaces « sont des espaces extra-territoriaux, des bulles, qui permettent de créer une distinction sociale, dans un lieu très sécurisé par rapport à l’espace public« …  Et si les centres commerciaux représentaient vraiment la zone franche des sociabilités de demain ? Suite au prochain épisode.

  1. Pour vous le prouver, on vous propose de regarder le tag #4temps sur Vine. Notre préféré étant le commentaire suivant : « On se croirait presque au Japon mais c’est bien La Défense »… []

3 commentaires

  • Il faut que tu viennes faire un tour dans les mall des pays du Golfe ! Ca n’a rien à voir avec les centres commerciaux français, ce sont des mini ville sous climatisation. La ville à l’extérieure n’est pas très interessante (il fait trop chaud et elle est assez dégueulasse) mais les centres commerciaux sont de véritables reproductions de ville à l’intérieur.
    Tout est prévu pour occuper les familles pendant le week-end et finalement le shopping n’est plus la priorité : tu peux passer une journée entière à The Avenues (Koweït) de la même manière que tu te balades à Paris. Il y a des quartiers, dont un qui s’appelle Soko, référence au Soho New Yorkais, les filles se montrent dans le quartier Prestige (les boutiques de luxe) avec leur plus beau vêtement, les enfants ont leurs aires de jeu (style mini parcs d’attractions) Tu peux faire tout ce qu’on fait en ville sans jamais sortir du mall.

    Et en fait, en y réfléchissant, je pense qu’en regardant du côtés des mall d’Asie du Sud Est (Bangkok ou Kuala Lumpur, de ceux que je connais) tu peux trouver beaucoup de dispositifs mis en place pour créer cette convivialité Mall-esque.

  • article très complet, juste deux petite remarque :
    vous confondez la loi pinel en défiscalisation http://loipinel-gouv.org/ et la loi Pinel sur les baux commerciaux dans ce passage « Pour lutter contre ce développement incontrôlé de la grande distribution, les lois ALUR et Pinel de mars et juin 2014 sont venues renforcer les règles de procédures, notamment dans une perspective de lutte contre l’artificialisation des sols et la revitalisation des centres-villes. »
    je vous invite à lire cet article d’Olivier Badot https://www.cairn.info/revue-management-et-avenir-2008-5-page-37.htm qui apporte un éclairage intéressant à ce que vous dîtes.

  • C’est vrai que les centres-commerciaux sont de plus en plus nombreux dans le monde. Et de plus en plus gros… Comme tu le dis, ce sont des villes maintenant!
    Le plus triste, c’est que ce genre de « mall » tuent les petits commerces. Pour ce qui est de votre référence à la loi Pinel http://www.loi-pinel.fr/ Je pense que Lea a raison et que vous faites référence aux baux commerciaux. Heureusement que ces immenses centres-commerciaux n’ont pas le droit à des avantages fiscaux en France. Je ne sais pas pour ce qui est de l’étranger?

    Si ce que Tahar Drici t’intéresse, je t’invite à lire cet article sur l’émergence des malls en Afrique : http://www.fric-afrique.fr/en-afrique-lamour-est-dans-les-malls–a–14038.html

    Bonne continuation à toi!

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