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Formule à la carte : piocher dans les interfaces vidéoludiques pour une meilleure navigation

Le 14 janvier 2014 - Par qui vous parle de , , , , dans parmi lesquels , , , ,

C’est à l’occasion de l’un des séminaires “Ville Lisible”, organisé en décembre dernier par l’Institut pour la Ville en Mouvement, que nous avons pu examiner une nouvelle fois le tandem cher à nos yeux que forment la cartographie et le jeu vidéo.

Nous avions déjà fait revivre le sujet il y a quelques mois avec un billet dédié aux bénéfices que pourraient apporter certaines mécaniques de pilotage spatial offertes par un jeu comme Minecraft. Cette fois-ci, notre mission au sein de la table ronde consistait à montrer les bons offices que pourraient opérer certains dispositifs employés par les interfaces vidéoludiques pour l’aménagement de nos outils de navigation réels. En voici le recueil quelque peu revisité, enrichi par un excellent article traitant des cartes vidéoludiques qui « ne se contentent pas de montrer le chemin à parcourir« .

Brouiller les cartes, à la mémoire de nos jeux

A l’heure où les univers vidéoludiques sont exposés à une fréquentation massive et quotidienne par des publics multiples et variés, une majorité des spécialistes et des passionnés s’accorde à attribuer aux espaces “joués” une nature spatiale efficiente.

Ainsi, la géographie des lieux parcourus au sein des jeux vidéo est vécue par ses usagers de la même manière que sont arpentés, flânés, traversés, visités chemins et villes réelles. L’objectif de « fouille » intrinsèque à certains systèmes de jeu, le temps passé à se divertir, ou plus pragmatiquement le caractère « simplifié » de la plupart des maps explorées engendrent même parfois une meilleure connaissance des terrains ludiques que des espaces réels.

Les huit premiers niveaux du jeu Half Life , dessin de Corinthian sur Mapstalgia.

C’est précisément ce qu’explique Josh Millard, curateur d’une superbe collection de cartes vidéoludiques dessinées de mémoire par des joueurs, dans un article de l’enseignant américain Peter Pappas :

“We spend time in video game worlds, learning our way around the constructed environments.  We make mental maps of these places as part of the process of trying to progress through them.  We learn where the good bits are hidden, remember the hard bits that got us killed every damn time.  The worlds may be fictional but our mental maps of them are as real as anything else we remember.  And they’re shared experiences.”

Les jeux vidéo – et notamment ceux proposant des espaces dits « ouverts » – ont une qualité particulière que la cartographie ne peut que jalouser : leur capacité à doser admirablement l’union entre sentiment de liberté et éclairage subtile du joueur dans ses différentes pérégri-missions.

Le jeu vidéo a fait du chemin

De cette manière, par quels moyens nos cartes traditionnelles doivent-elles s’inspirer de l’expérience vidéoludique offerte par les interfaces et outils de navigation ? On peut d’abord se demander à quel point un outil cartographique doit permettre de « guider » son utilisateur. En effet, les cartes traditionnelles sont bien souvent produites à partir d’une certaine idée que l’on se fait de « la » pratique de déambulation. Mais dans chaque situation, et pour chaque individu, l’itinéraire, l’objectif, l’état d’esprit, la motivation, l’environnement etc. seront bien différents…

Scène d’introduction de Metal Gear Solid, dessin de mogbason sur Mapstalgia.

Scène d’introduction de Metal Gear Solid, dessin de churl sur Mapstalgia.

De leurs côtés, les outils de navigation vidéoludiques sont conçus, non pas selon la pratique de chaque individu, mais toutefois en fonction d’usages spécifiques (combats, interactions avec des PNJ, découverte d’objets etc.) et d’un but particulier (le jeu lui-même, dans son ensemble). Le terrain d’action du joueur est étudié et produit pour ces mêmes actions, et les outils qui lui sont offerts pour sa navigation sont dès lors optimisés dans l’objectif de construire la cohérence générique du jeu global.

Ainsi, lorsque le jeu Far Cry 2 prend le parti de ne pas afficher la carte du monde sur l’écran du joueur – ce qui l’oblige à tenir une carte ou un GPS dans sa main virtuelle, même en conduisant un véhicule -, les développeurs structurent les difficultés de repère spatial inhérent au gameplay. En effet, le personnage joué est un mercenaire envoyé en Afrique pour éliminer un puissant trafiquant d’arme local. En conséquence, le protagoniste est étranger à l’environnement dans lequel il déambule, et se trouve logiquement conditionné à l’égarement spatial.

A l’inverse, d’autres types de jeux seront nettement plus friands des interfaces « à la Terminator« , en utilisant l’écran du joueur comme support d’informations, « augmentant » ainsi la trajectoire du personnage contrôlé. La carte du monde tient dès lors une place de choix sur l’écran de jeu dans bon nombre de jeux, au même titre que l’indicateur des « points de vie » du personnage.

En effet, ce dispositif permet d’avancer sans embûche dans l’univers joué. Certaines cartes n’affichent que le chemin et la position du personnage en temps réel, d’autres pourront exhiber des éléments clés comme la position des trésors ou des ennemis.

Les jeux Metroid Prime affichent deux types de cartes : celle en haut à gauche repère la position en temps réel des ennemis du secteur ; celle en haut à droite dessine les déplacements du personnage dans un une structure 3D du monde

D’autres jeux offrent la possibilité de visualiser les déplacements du protagoniste de deux manières très différentes. Ainsi, dans le jeu Doom, égérie du genre, le joueur peut d’une part choisir de s’aventurer de façon classique à savoir en vue subjective. L’environnement est alors visualisé de façon réaliste, au rythme de la « marche » et avec les « yeux » du personnage. Mais il est également possible d’activer un autre mode d’exploration : le map screen.  De cette manière, l’écran de jeu devient la carte elle-même, n’indiquant que les déplacements en temps réel du personnage à l’intérieur des cloisons du niveau. Doom représentant au départ l’un des jeux les plus stressants de l’Histoire vidéoludique, ce mode de déplacement constitue une véritable source de stress supplémentaire pour le joueur.

Montage exprimant le sentiment d’insécurité généré par le mode de déplacement en map screen dans Doom

En effet, il se voit avancer à l’aveuglette dans le noir le plus total. Son unique repère efficace demeure son ouïe, comme l’indique le montage cocasse ci-dessus (« Wait, what’s that sound ? »).

Notons la pertinence du procédé ci-présenté dans l’établissement de la cohérence globale du jeu, comme le rappelle un article publié sur Games Radar :

« So, Doom’s scariness established, it would only make sense for Doom’s map to be bloody scary too. And it is. All too often, the video game map is the refuge of the weak and cowardly. The paper or PDA-based shield against all of a game’s stressful horrors. […] But in Doom, the map screen isn’t a safe place you can run away and hide in when it all becomes too much. In Doom, the map screen is even scarier than the main game. Because in Doom, the map screen is a playable, real-time, overhead wire-frame version of the in-game action. A big, empty, black wire-frame version, with none of the detail, none of the clearly visible monsters, but all of the horrible sounds of your impending – or currently occurring – death. »

La ville a toutes les cartes en main

Bref, les outils et interfaces d’aide au déplacement développés dans les jeux vidéo ont tout intérêt à inspirer la cartographie contemporaine.  En effet, le jeu vidéo est le premier et le seul média 99% numérique qui, depuis trois décennies, cultive une réflexion théorique et pratique des interfaces numériques. Dès lors, la carte, en tant qu’interface expérimentée quotidiennement et en pleine mutation digitale, mérite à juste titre de se voir éclairée par les mécaniques offertes par le modèle vidéoludique.

Ainsi, que l’on souhaite optimiser ses déplacements par une navigation multimodale efficace ou que l’on préfère privilégier une flânerie périlleuse, les interfaces de jeu regorgent d’éléments sagaces et mûris. Et si on imitait la carte de Doom, réinventant le sonar, pour améliorer les pérégrinations des personnes à mobilité réduite ? Et si on copiait les mille façons données par le jeu Minecraft pour retrouver son chemin, afin de stimuler nos ballades journalières ? On en est pas encore là mais c’est un premier pas créatif : le tout est de s’éloigner de certaines dérives de l’optimisation cartographique par le numérique, que l’on dénonçait il y a déjà quelques temps.

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