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GTA, au-delà de l’hyperréel ? Cinq questions à Benjamin Bardou, cinéaste.

Le 10 janvier 2013 - Par qui vous parle de , , , , , dans , , parmi lesquels , , , ,

Comment mieux se remettre aux affaires qu’en s’interrogeant sur la manière dont les technologies contribuent à transformer nos perceptions de la ville ? Il y a quelques jours, Urbain trop urbain nous twittait une étrange vidéo au titre évocateur, avec pour seul commentaire : « captures de GTA pour les vues de ville »… Il n’en fallait pas plus pour aiguiser notre curiosité.

Le film en question est l’oeuvre du jeune cinéaste Benjamin Bardou, et les captures urbaines sont donc tirées de GTA IV. On a plusieurs fois évoqué le rapport ambigu qu’entretient ce jeu-culte avec le réel, que ce soit sur le plan graphique (GTA Street View), urbanistique (Les villes de GTA, par Nicolas Nova), ou même sociologique (Et si GTA V était le premier jeu vidéo marxiste ?, par Transit-City).

Certes, le procédé n’est pas totalement inédit. On pense aux machimina, ces talentueuses vidéos qui s’appuient sur le jeu et ses codes, sans pour autant chercher à « brouiller les pistes » (exemple). Mais la finalité est ici différente. En intégrant une oeuvre à vocation purement esthético-artistique (une première, à notre connaissance), GTA dévoile une nouvelle facette de son potentiel : plus réel que le réel.

Ce faisant, il démontre aussi l’importance croissante des jeux vidéo dans la fabrique de nos imaginaires urbains, et la manière dont l’urbanisme pourrait à son tour s’en nourrir (exemple de Participatory Chinatown). Nous avons donc posé quelques questions à Benjamin Bardou, sur son usage de GTA et les réflexions qui l’ont alimenté. Histoire de bien commencer l’année, qu’on vous souhaite plus belle que le réel…

Pourquoi avoir utilisé des images tirées de GTA IV pour ton film ?

Je m’intéresse au thème de la ville. Dans un de mes courts-métrages, j’avais tenté de traiter de l’évolution de la perception urbaine tout au long du XIXe siècle, qui s’était effectuée grâce aux techniques de reproduction de l’époque. D’une certaine manière j’ai voulu poursuivre cette réflexion avec les techniques d’aujourd’hui. Le cinéma du XXe a pu dupliquer la ville par fragments, maintenant le jeu vidéo permet de recréer une ville-monde simulée en temps réel. Cela me fascine.

Comment as-tu réalisé ces prises de vues ?

Techniquement, filmer Liberty City a été plutôt complexe. D’abord, le portage PC étant complètement raté, pas optimisé, il faut du matériel plutôt récent pour pouvoir le faire tourner. Ensuite, il faut trouver les bons mods [un mode de jeu créé à partir d’un jeu vidéo existant] pour avoir une liberté de mouvement dans la ville. Un mod de contrôle de caméra est nécessaire, ainsi qu’un mod de contrôle du temps et de la météo. Enfin, il faut comme dans la vie réelle, trouver le bon point de vue et la bonne lumière.

Une fois la séquence enregistrée vient le travail de compositing qui est assez long. Je voulais donner une ambiance « film noir » pour accentuer l’aspect étrange de la ville, et pourquoi pas brouiller les pistes (est-ce une vraie ville qui est filmée?). De plus, il faut gommer tous les bugs d’affichage. J’aurais pu les laisser, les intégrer à ma réflexion sur la simulation, mais j’ai préféré jouer sur le doute.

Tu évoquais Baudrillard en teasing de la vidéo. Est-ce que l’utilisation de GTA rentrait dans le cadre d’une réflexion sur ce sujet précis ? 

Ce traitement de la ville a effectivement été nourri par Baudrillard mais aussi par d’autres auteurs. J’ai toujours été fasciné par la grande ville moderne, mais c’est la lecture de Walter Benjamin qui a déterminé l’angle sous lequel je devais traiter l’entité urbaine.

Benjamin traite entre autres de la part de rêve que la capitalisme sécrète et qu’il diffuse par son système de production de marchandises. Il parle du concept de fantasmagorie pour désigner ce voile magique qui se dépose sur notre société. Je crois d’ailleurs que Baudrillard reprend cette notion dans Simulacres et simulation et qu’il prolonge dans son concept d’hyperréalité. Il y a quelque chose à voir avec le fétichisme de la marchandise.

L’objet marchand acquiert une dimension magique du fait qu’on oublie qu’il a été façonné par l’homme. Les rapports sociaux de production, qui sont pourtant son support, disparaissent. La marchandise se transforme en sujet et son producteur en objet. Ce type d’inversion a dû intéresser Baudrillard.

A titre personnel, quel type de joueur es-tu ? Quel regard portes-tu sur le jeu GTA, et plus particulièrement la figure de l’urbain dans les GTA ?

Comme je le disais, ce jeu me fascine. J’ai connu GTA à sa troisième version (2001), et comme bon nombre de joueurs, j’ai écumé les rues de Liberty City pendant plusieurs jours.

Je m’intéresse à la technique du jeu. J’ai tendance à scruter les astuces trouvées pour donner l’illusion du réel ou de gameplay qui donne une consistance à l’univers recréé. Par exemple dans Quake III (1999), les graphismes paraissent bien fades aujourd’hui. Par contre, je n’ai jamais retrouvé un tel gameplay dans les autres jeux. Le moteur phyisque, bien que faux, est parfait.

Il y a comme un prolongement de notre corps qui s’opère dans ce jeu. L’écran disparaît.  En règle générale, je m’intéresse plus particulièrement aux FPS qui permettent une immersion visuelle plus immédiate.

Le film s’inspire forcément de Blade Runner, dont tu reprends le titre du roman de Philip K. Dick [Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?]. Tu cites aussi Ghost in the Shell comme source de motivation. Comment ces oeuvres ont-elles influencé ton travail ? [ndlr : c’est aussi le film qui nous a initié à la prospective urbaine…]

En ce qui concerne le film à proprement parler, je dirais que l’envie de faire ce film vient en partie de Ghost in the Shell. En effet ce long-métrage développe l’idée de vie artificielle qui émerge au sein du réseau mondial (le fameux Puppetmaster).

Le croisement avec GTA était donc facile. Dans cette ville entièrement simulée dans ses moindres détails, leurs habitants n’ont-ils pas une vie propre? Quel regard ont-ils sur toute nos archives stockées sur le réseau?

Bien entendu, là aussi c’est une fantasmagorie. Mais comme toute fantasmagorie, elle est séduisante et fertile…

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