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Le petit commerce comme centralité rurale dans le manga

Le 26 janvier 2016 - Par qui vous parle de , , , dans parmi lesquels ,

C’est de nouveau le visionnage d’un animé japonais tout récent qui nous a donné envie d’écrire le rebond qui suit. Il s’appelle Dagashi Kashi (だがしかし) et met en scène une intrigue drôle et décalée gravitant autour d’une modeste confiserie familiale au beau milieu de la campagne nippone.

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I’ll take you to the candy shop

Dès le premier épisode, l’arrivée d’un personnage extérieur vient bouleverser la petite vie tranquille de cette échoppe banale… Hotaru Shidare est la fille du patron d’une grande compagnie de fabrique de bonbons, et elle a pour mission de recruter la personne qui les aidera à créer la friandise la mieux pensée qu’il soit. Le tenancier du petit magasin sus-mentionné (et père du jeune héros de la série), qui a apparemment bonne réputation, est alors la cible privilégiée de cet enrôlement fantasque.

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Au-delà du ressort comique principal incarné par Hotaru Shidare, qui connaît comme sa poche toutes les marques et concepts de bonbons (décryptant à la perfection dans des envolées lyriques ou épiques les design, packagings, goûts et choix marketing afférents), l’humour de Dagashi Kashi se concentre sur l’absurdité selon laquelle une petite confiserie rurale pourrait sauver la stratégie marketing d’une grande compagnie…

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Paumée au milieu de nulle part, la petite boutique ressemble à n’importe quelle autre enseigne rurale du genre et ne représente pas franchement, a priori, l’avenir du marketing d’une grande entreprise…

De la nostalgie du passé…

L’intrigue des deux premiers épisodes repose également, c’est logique, sur la question de la succession de la boutique. Car le père du jeune héros ne peut accepter la proposition alléchante mentionnée précédemment qu’à condition que son fils reprenne le flambeau de la confiserie. Si la suite de la série animée n’est pas accessible pour le moment, on se doute bien – et on l’espère – que le petit magasin de bonbons sera finalement bel et bien sauvé et ne mettra pas la clé sous la porte !

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Le magasin de bonbons dans Non Non Biyori (son inspiration réelle serait ici)

Car c’est bel et bien ce qui pend au nez de ce type de petites boutiques qui survivent ici et là dans les espaces ruraux nippons. Le blogueur français – expatrié dans un petit hameau japonais avec sa famille –Wakame Tamago témoignait justement, à la fin de l’année dernière, du triste sort de ces enseignes en rapportant son expérience personnelle sur son superbe blog :

« Et aujourd’hui est le temps de nouveaux changements: avec la fermeture définitive de la dernière épicerie de la vallée. Les coins de campagne au Japon je crois sont tous confrontés à cette situation d’une économie qui se contracte et fond comme neige au soleil. La fermeture de l’épicerie est un évènement triste. Avec un peu d’effort et d’imagination je pense que le management de l’épicerie -qui était gérée par une société- aurait pu essayer de diversifier le business en faisant café et débit de boissons alcoolisées. Cela aurait attiré un peu plus de business, avec un cout additionnel négligeable. J’ai l’impression que la boite voulait de toute façon fermer et se désengager du village. »

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Dans Non Non Biyori, le magasin de bonbons incarne le lieu de nombreuses sociabilités et de toutes sortes de loisirs (regarder la TV, grignoter, acheter un petit jouet dans les machines gashapon qui trônent devant la boutique etc.) – Source : « Weekly Review of Transit, Place and Culture in Anime« 

Car le phénomène est ancien et bien connu : les campagnes japonaises se vident à vue d’oeil, tandis que les villes monstres comme Tokyo saturent de monde. Ce serait donc la rareté accélérée de ces échoppes qui en ferait tout le charme ? Pas seulement. Elles représentent aussi et surtout une certaine idée du « bonheur à l’état brut » (dixit Wakame Tamago), un lieu de convivialités et de chill inégalable en ville :

« En plus d’un simple magasin c’était le lieu où les habitants se retrouvaient parfois. Il y avait un vieux canapé rouge avec une table et un cendrier. Que demander de plus ! Le coin idéal pour les enfants de l’école de se retrouver après les cours, de manger quelques friandises en faisant de la nintendo en toute sécurité. Et pour les plus vieux de prendre un café en fumant une clope. Si les enfants n avaient pas assez d argent, la dame du magasin avait une petite cagnotte pour leur en faire l’avance. »

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De plus, le magasin de bonbon à proprement parler – que l’on retrouve donc dans deux animes « ruraux » récents, que sont Dagashi Kashi et Non Non Biyori – semble représenter dans l’imaginaire collectif japonais la quintessence d’une culture traditionnelle révolue. Les confiseries traditionnelles (Dagashi-ya 駄菓子屋) sont donc des petites boutiques colorées, pleines à craquer de friandises aux formes et goûts multiples, vendues à bas prix. Souvent, des petits jouets de manufacture modeste y sont également mis en évidence. Raréfiés depuis les années 1980-1990, ces magasins sont donc le symbole d’un mode de vie japonais d’antan, plus artisanal et plus convivial. Développement économique et métropolisation oblige : les grandes enseignes de confiserie ont pour beaucoup remplacé les dagashi-ya traditionnels dans la plupart des villes japonaises contemporaines.

Cependant l’offre actuelle n’hésitera pas à manifester sa nostalgie vis à vis d’eux, en recréant de toute pièce des confiseries à l’image vintage : dans les centres commerciaux ou bien dans les reproductions grandeur nature de quartiers anciens, à destination des touristes. Les bonbons japonais sont d’ailleurs de nos jours l’un des produits locaux les plus appréciés et médiatisés dans le secteur du tourisme. Donc même si les magasins à l’ancienne meurent à petits feux, la tradition reste, et la hype de ces denrées sucrées ne s’est pas laissée faire par le temps qui passe… jusqu’à devenir un atout de marketing territorial assez populaire encore aujourd’hui !

…à la campagne du futur

Pour en revenir à l’animé de Kotoyama, la problématique mise en lumière n’y est donc pas « repeuplons la campagne« , mais bel et bien : maintenons ses centralités sociabilisantes. Et c’est évidemment un sujet que l’on pourrait traiter du point de vue français mais gardons cela pour plus tard. Epiceries, supérettes ou dagashi-ya tiennent un rôle de choix dans la vie des habitants de la campagne nippone, et leur fermeture progressive ne pourra à terme qu’alimenter l’exode rural déjà bien en marche.

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Et si le nouveau centre d’innovation numérique ouvrait ses portes au fin fond du Cantal, pour changer de Sentier (Paris 2) ?

Dans notre veille, quelques pistes semblent émerger ici et là pour tenter de répondre de différentes manières au dépeuplement de ces espaces verts plein de charmes. D’une part, une agence immobilière qui s’est lancée dans le rachat et la rénovation des akiya – ces maisons vides qui peuplent les espaces ruraux nippons, faute d’habitants – pour ensuite les revendre à petits prix (aux Occidentaux, par exemple). Le marché semble juteux et servir efficacement ces terres désertées par les aspirants urbains… Ensuite, il y a ce petit groupe de makers qui « ont créé Hacker Farm, un hackerspace rural pour bricoder au vert » au beau milieu des rizières de Kozuka (préfecture de Chiba) :

« Il s’agit de trois petits bâtiments en bord de route loués pour l’équivalent de quelques centaines d’euros par mois et principalement animés par Akiba, qui a finalement quitté Tokyo pour y emménager il y a un an et demi. Lui et Chris Harrington ont passé plusieurs mois à réparer les bâtiments, en plus d’y installer des fibres optiques, des serveurs, l’électronique, etc. Et pour ceux qui veulent en bonus de la terre à cultiver, c’est gratuit ! Le « lieu-dit » Hacker Farm comprend le labo, la réserve et un espace de co-living.

Le premier projet phare propre à Hacker Farm est Techrice, en collaboration avec Freaklabs, la société « open source wireless » d’Akiba, et Future Lab, une petite équipe de jeunes ingénieurs et designers au sein de la grande entreprise Digital Garage à Tokyo. Il s’agit de créer un système pour permettre aux agriculteurs de savoir à tout moment le statut de leur rizière, qui est parfois située loin de leur domicile, sans avoir à se rendre sur place tous les jours. »

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Rappel : c’est ça le Japon qu’on aime, même si ça fait des désaxés dentaires depuis le berceau

En dehors de ces liens relativement récents, peu d’initiatives de réappropriation du terroir japonais nous sont parvenues ces derniers mois. Si ce n’est cette poignée de manga/animés qui, depuis quelques temps déjà, sortent de terre comme un bouquet de shiitake après la pluie… Pouvons-nous donc voir en eux une lueur d’espoir certaine ? Si c’est le cas, on attend avec impatience un Summer Wars 2 où numérique et terroir fusionneraient avec autant de classe que dans un « néo-Denno coil« .

1 commentaire

  • Ce qui est triste, c’est que nos campagnes se meurent aussi, en France, et avec ce sujet, ont se rend compte qu’en dehors du Japon et la France, ils y a surement d’autre pays, qui voient leur campagnes si vidée de son peuples…

    Et oui, je me met a pleuré.

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