Parce qu’un rebond sur notre veille perso est toujours un bon moyen de brasser des concepts constitutifs de nos métiers, nous allons aujourd’hui mettre en résonance un épisode de la dernière saison de Jojo’s Bizarre Adventure avec quelques notions géographiques éminemment contemporaines. Ces réflexions nous amèneront à reluquer une autre oeuvre japonaise, la bien-nommée « Maptown », qui nous permettra de prendre un peu de hauteur à l’égard des enjeux cartographiques actuels, qui n’ont jamais semblés aussi prégnants dans nos sociétés…
A quand la démocratisation de « la pause Jojo » dans les opérations de marketing territorial des petites et moyennes villes ?
Abrégée Jojo, la série susmentionnée compte parmi les univers les plus « hypés » du genre shōnen. L’arc « Diamond is Unbreakable », sur lequel on s’attardera aujourd’hui, adapte la quatrième partie du manga d’origine (publié entre 1992 et 1995 au Japon). La version animée a quant à elle été crée tardivement, diffusée entre avril et décembre 2016 au Japon et dans les pays francophones.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, petit point nécessaire sur la sphère Jojo, l’environnement, et l’intrigue de la Partie 4 : Jojo’s Bizarre Adventure met en scène un univers fantastique dans lequel les protagonistes affrontent des antagonistes – les deux parties étant dotées de super-pouvoirs mystérieux. Pour la première fois dans l’Histoire de Jojo, la dernière saison implante l’action dans une petite ville japonaise fictive du nom de Morio.
Tout quitter pour devenir « manieur de stand » [le nom donné aux pouvoirs des personnages de Jojo] dans le Vercors japonais
L’aventure du lycéen Josuke Higashikata (aka Jojo), et ses amis aux dons surnaturels, transporte donc les spectateurs dans une modeste commune de province durant l’année 1999. L’ensemble des péripéties, teintées de baston, d’humour, de magie et de culture nippone, sont alors transposées dans un cadre scénaristique qui respire la normalité. A l’instar de la série américaine Marshall & Simon (1991-1992), « Diamond is Unbreakable » s’attaque au résidentiel et à la vie ordinaire1. Cela passe notamment par une minutie dans la représentation cartographique de la ville, ce qui provoque inévitablement notre curiosité maladive :
« Vu que l’intrigue ne nous fera pas voyager cette fois ci, Araki concentrera tous ses efforts afin de créer une ville crédible et cohérente en redessinant le plan avec acharnement, jusqu’à satisfaction. Hirohiko Araki nous offre la plus personnelle de son œuvre, en partie autobiographique. Elle se déroule dans une vision fantasmée de la ville de son enfance. Plus orientée vers le mystère et le suspense que les autres parties de la série, on y est plus proche d’un polar avec une touche de fantastique, tout en suivant le quotidien étrange de nos héros. » (Wikipedia)
D’épisodes en épisodes, la bourgade paumée de Morio se voit ainsi secouée par divers phénomènes romanesques, d’envergure variable. Celui que nous avons choisi de partager avec vous prend place au cours de l’épisode 17. Puisqu’il fait écho à d’autres œuvres-clés de la bande dessinée japonaise fantastique des années 1990, autant qu’à des concepts classiques de la discipline géographique, on ne pouvait pas rater le coche du commentaire qui suit…
Carto-mytho, c’est pas jojo
Nous sommes donc en 1999, c’est-à-dire à l’époque du téléphone fixe, des cabines téléphoniques et des plans de ville papier. Rien d’étonnant, donc, au fait que les cartes géographiques soient omniprésentes dans ce segment des aventures de Jojo. Audacieux et casse-cous, les protagonistes se retrouvent parfois contraints de passer des heures sur un plan de Morio pour affiner leur stratégie d’attaque ou retrouver un ami prisonnier d’un ennemi mal intentionné…
Autant chercher une aiguille dans une botte de foin
L’épisode 17 commence avec un personnage, perdu dans la petite ville, qui demande à l’un des protagonistes de le guider. A 20 ans, Rohan Kishibe s’est installé depuis peu à Morio ; mais on apprend qu’il y a vécu pendant sa plus tendre enfance. De fait, il se trouve dans ce quartier pour tenter de retrouver son ancienne maison.
En revanche, l’élément perturbateur de cette quête n’est pas seulement la mémoire de Rohan qui flanche… En vérité : les plans de la ville mentent. La ruelle qui se trouve en face d’eux n’apparaît nulle part, tandis que les magasins alentours sont bel et bien indiqués. Les deux garçons décident de faire un tour dans cette portion de ville oubliée des cartes officielles, et se retrouvent bientôt pris au piège dans un labyrinthe résidentiel aussi occulte qu’exigu.
En réalité, c’est un charme surnaturel qui les retient au cœur de ces ruelles dénuées de vie (toutes les maisons sont inhabitées et « même les distributeurs de boissons sont éteints« , dit le protagoniste, en référence à l’omniprésence des distributeurs dans les rues nippones). Il rencontre alors une jeune revenante hantant les lieux : après leur avoir proposé ses talents de guide urbaine, celle-ci leur raconte l’histoire sordide de ce quartier immobile.
Quinze ans auparavant, la jeune enfant et sa famille furent tuées dans l’une des maisons bourgeoises devant lesquelles piétinent les deux protagonistes. L’assassin courant toujours, la messagère-fantôme compte sur ses nouveaux amis pour arrêter ce criminel sanguinaire. C’est alors qu’elle et les autres âmes, victimes du slasher de Morio, pourront reposer en paix, et rendre enfin à la ville ce fragment urbain condamné par la cartographie locale…
De quoi nourrir nos réflexions sur la place des homicides dans le marketing territorial…
Cette mésaventure vécue par les personnages d’Araki, met ainsi en lumière l’un des aspects essentiels de la discipline cartographique : le mensonge des cartes. Celui-ci a été abondamment traité par les géographes à travers le temps. Bien évidemment, les cartographies « mensongères » n’ont pas pour origine un massacre à la tronçonneuse, mais plutôt des enjeux géopolitiques complexes, voire des erreurs de débutant dans la représentation des territoires (sur ce sujet, on ne peut que recommander l’un des ouvrages de base de tout géographe qui se respecte : « Comment faire mentir les cartes ?« , écrit par Mark Monmonier et publié en 1993). Il n’empêche que cette séquence de Jojo vient directement nous rappeler que « la carte n’est pas le territoire », selon la formule consacrée.
La carto collabo rend marteau
Cet épisode de Jojo peut alors nous amener sur un autre terrain critique essentiel de la discipline géographique : celui de la cartographie dite participative, tendance emblématique de notre époque, que le chercheur Gilles Palsky qualifie brillamment de « cartographie indisciplinée« . Dans son article, le géographe