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« L’imaginaire de la banlieue parisienne reste encore à raconter », entretien avec Enlarge your Paris

Le 8 décembre 2015 - Par qui vous parle de , , dans , , , , , parmi lesquels , , , ,

Ca fait un moment qu’on se tournait autour sur les réseaux sociaux avec Enlarge your Paris, alors on a passé le cap de l’interview. Nul besoin de prétexte ou d’un timing « coup de pub », on y est allé la tête la première. On laisse donc le micro à cette belle équipe de journalistes (ici Vianney Delourme) passionnée de banlieue parisienne, qui parlera sans doute mieux que nous de ce qui les anime au quotidien… Bonne découverte ou approfondissement de cette team bien nommée et de leur excellent travail.

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Pouvez-vous nous présenter Enlarge your Paris, son histoire, son travail ? N’est-ce pas trop compliqué de couvrir un territoire aussi riche et entendu que l’Île-de-France pour nourrir le corps éditorial de votre blog ?

Il était une fois Enlarge your Paris ou l’envie de quelques journalistes banlieusards d’avoir accès à un média qui parle de leurs villes autrement. Mais n’ayant pas toute la vie à attendre, et lassés par leurs sempiternels allers-retours dans Paris intra-muros, nous avons décidé de créer nous-mêmes ce média qui nous manquait. Car il faut savoir que lorsque le banlieusard a envie de sortir pour se faire un resto, une expo, un concert ou tout autre plaisir culturel, il lui est hélas compliqué de trouver des idées autour de chez lui, la curiosité des médias s’arrêtant bien souvent aux frontières du périph. Alors le banlieusard s’en remet à l’intra-muros pour l’encanailler…

Il nous a fallu trouver un nom pour commencer. Il était hors de question d’utiliser le mot banlieue, trop connoté. Tapez « banlieue » dans Google images et vous verrez apparaître instantanément des dizaines de clichés montrant des quartiers en crise et des voitures en flammes. Comme de toutes façons, pour nous, Montreuil, Saint-Denis, Boulogne, Massy, Vitry, Versailles, Cergy c’est Paris… nous n’avions aucune intention de nous affranchir de cette marque aussi puissante dans l’imaginaire collectif que Coca-Cola, Michael Jackson et le Pape réunis.

Il nous fallait ensuite instiller un peu d’humour et de glamour pour donner une autre image de l’outre-périphérique. C’est ainsi qu’a germé Enlarge your Paris dans la tête de l’une des pionnières de l’aventure. Au commencement, en 2012, nous étions trois. Nous sommes maintenant une quinzaine (essentiellement des journalistes, bien aidés par un informaticien), tous bénévoles mais avec la ferme envie de bâtir une structure pérenne. Trois d’entre nous y travaillent tout particulièrement.

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Bon clash – via le concours photo #InstantsVoyageurs lancé par la SNCF

Depuis trois ans, nous avons réalisé plus de deux cent reportages dans le Grand Paris, aucun dans le petit Paris. Il y a suffisamment à faire en banlieue1, et suffisamment de confrères qui parlent d’intra-muros. Nos sujets portent sur la culture et les loisirs mais aussi l’économie sociale et solidaire. En somme, tout ce qui crée du lien et favorise les réseaux de proximité. Notre souhait est de faciliter la vie en circuit court en délivrant de l’information locale – voire hyperlocale – et en la croisant avec des services comme Sharette (covoiturage de proximité) ou La Ruche qui dit Oui (consommation de produits locaux).

Côte partenariat, nous travaillons avec l’émission La Voix est libre sur France 3 Paris pour qui nous préparons la météo des bons plans du week-end. Nous produisons également du contenu conjointement avec La Ruche qui Dit Oui avec qui nous avons réalisé un test des bières d’Île-de-France. Plus récemment, nous avons entamé une collaboration avec Libé à qui nous livrons chaque semaine une sélection de sorties pour le site web.

Et nous avons également des sélections de bonnes adresses qui sont parues sur Que faire à Paris.

Nous sommes enfin partenaires d’événements dont nous faisons la promotion (gratuitement, faut-il le préciser). Dernier en date, les Primeurs de Massy, festival de musique consacré aux groupes émergents, mais qui ont quand même un peu de bouteille.

Nos sources d’inspiration nous viennent de ce que nous croisons sur le terrain. A quelques exceptions près, nous sommes tous banlieusards. Il nous suffit donc d’ouvrir l’œil. Beaucoup d’infos nous parviennent également par le biais des réseaux sociaux, sans lesquels Enlarge your Paris n’existerait sans doute pas. Ils sont une source d’information inépuisable, et surtout le principal outil pour construire notre audience.

L’année dernière, vous avez gagné une campagne de financement collaboratif…

Cette campagne nous a à la fois permis de collecter 8.000 euros pour la refonte du site, et de nous faire connaître. Nous avons alors pu bénéficier de nombreuses retombées presse (Le Monde, Le Parisien, We Demain, France Inter, France Culture, Direct Matin, etc.), ce qui a permis à l’audience de croître, en particulier lorsqu’il s’agissait de relais sur le web.

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Dans le même temps, vous avez lancé votre première vidéo d’auto-promo façon “Le grand détournement”…

Là encore, le but est de montrer qu’on peut déconner en parlant de la banlieue. Elle sert trop souvent de décor pour montrer une société en crise. C’est à se demander d’ailleurs si l’on y vit… ou si l’on y survit.

Pour contrebalancer cette force, nous avons voulu apporter un peu de fantaisie en jouant sur les codes du Far West, c’est-à-dire la nouvelle frontière, ce qu’on ne connaît pas et qui effraie. Aujourd’hui, nous avons réalisé six  de ces scénettes audiovisuelles avec l’aide d’un brillant homme orchestre comédien-auteur-monteur.

Plus récemment, vous avez lancé l’idée GR Street art sur idee.paris.fr pour « donner envie de se promener dans le Grand Paris »…

L’idée est de matérialiser et d’incarner le Grand Paris, notion encore trop abstraite à l’heure actuelle. La marche étant le meilleur moyen de faire connaissance avec un territoire, nous travaillons sur un sentier de randonnée éphémère d’environ 8 km entre Vitry et Paris 13, dont le fil rouge serait le street art, très présent en ces lieux. Il s’agit de faciliter le passage entre Paris et sa banlieue, de créer de la continuité. Nous avons rencontré chacune des mairies concernées (Vitry, Ivry et Paris 13) et sommes en train de mettre par écrit le projet. L’objectif étant d’aboutir au printemps prochain. La notion d’éphémère est importante car c’est la nature même du street art.

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Nous n’avons pas envie de fabriquer une autoroute du street art qui serait noyée sous les œuvres… Le balisage du sentier sera par conséquent conçu pour s’effacer avec le temps. Le concept est exportable ailleurs dans le Grand Paris, le long du canal par exemple de Paris à Pantin ou de Paris à Saint-Denis.

Vous alimentez aussi une carte de « GO ZONES au-delà du périph« , couplée à certaines actions comme la balade à Vitry en février dernier…

La carte des Go Zones du Grand Paris a été réalisée en réaction à la carte des No Go Zones de Fox News. Elle nous a permis de vivre l’une de nos plus belles heures de gloire puisqu’elle nous a valu d’être cités dans la presse locale new yorkaise !

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Bref, ça semble rouler pour vous, comment vous voyez la suite ?

Le principal objectif est de renforcer l’audience. Pour y parvenir, nous concevons actuellement un agenda collaboratif à destination de tous les producteurs d’événements en Île-de-France (salles de concert, théâtres, musées, MJC, médiathèques, associations, etc.). Il n’existe pas à l’heure actuelle d’agenda centralisé qui permette de trouver quoi faire lorsque l’on se trouve de l’autre côté du périphérique. Dans le cadre de ce projet, nous travaillons avec les réseaux de salles afin d’assurer la collecte des données. La question qui se pose à présent, c’est celle des moyens financiers…

Actuellement, vous êtes un peu le “Que faire à Paris de la banlieue parisienne”. Avez-vous d’autres sources d’inspiration ? Un mot sur feu le magazine Megalopolis ?

Dans le domaine de la culture et des loisirs, Que faire à Paris sont vraiment ceux qui nous inspirent le plus. En dehors de ces deux sujets de prédilection pour nous, on a un faible pour des magazines comme We Demain et Fumigène. Et sans flagornerie aucune, on aime le ton et les angles de Pop-up urbain.

Quant à Megalopolis, c’est un mag que nous avons eu hélas trop peu l’occasion de feuilleter. Ils sont sans doute arrivés trop tôt, à un moment où le Grand Paris était encore plus abstrait que maintenant. Nous avons la chance de nous inscrire dans une actualité plus forte avec la création de la métropole en janvier prochain, le début des travaux du Grand Paris Express et le passe Navigo unique. C’est d’ailleurs ce dernier qui pour nous confère aujourd’hui une réalité au Grand Paris en ce qu’il fait tomber les frontières. Il est maintenant possible de se projeter n’importe où en Île-de-France sans se poser de question. C’est aussi ce qui créera le sentiment d’appartenance au territoire du Grand Paris. Maintenant, il faut raconter l’histoire qui va avec. Sillonner l’Île-de-France oui, mais pourquoi ? Il s’agit de raconter ce qui se trouve au bout des rails et des routes, faire en sorte que le rayonnement de Paris intra-muros ne fasse plus d’ombre à la banlieue mais au contraire éclaire ce qui s’y passe. Rien que pour la musique, ce sont cent trente festivals qui sont organisés chaque année dans l’outre-périphérique (quatre-vingt à Paris).

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Pour découvrir la suite des Idées Reçues, c’est par ici : A la recherche de la verdure perdue

Et puis la banlieue, c’est aussi la possibilité d’accéder à de la verdure. Nous avons publié l’an dernier une infographie qui montre que les parcs urbains capables de concurrencer Central Park se trouvent en petite couronne.
Avec quatre-cent soixante ha, le parc de Saint-Cloud met cent hectares dans la vue de son homologue yankee. Après, tout est question de centralité. Le Grand Paris doit faire émerger d’autres centralités que les quartiers situés intra-muros.

Pour rester sur la verdure, il y a une statistique qui souvent est ignorée : l’Île-de-France est recouverte à 28% de bois et forêts et à 21% d’espaces urbains. Tourner le dos à la banlieue, c’est donc faire l’impasse sur toute cette nature.
Combien de Franciliens sont au courant qu’il existe quatre parcs naturels dans la région ? Les richesses de la périphérie de Paris sont globalement ignorées. Les seules qui soient vraiment mises en avant, c’est Mickey et Louis XIV (voir la carte ci-dessous).

Carte Paris

Belle invitation, dans le métro parisien

Y a-t-il des imaginaires propres à la banlieue parisienne que vous appréciez particulièrement ?

Pour le moment, l’imaginaire de la banlieue reste encore à raconter. Le territoire qui possède la plus forte identité à ce jour est le 93. C’est aussi celui d’où nous parvient le plus d’initiatives et d’événements.

 

Il s’agit là de l’un des plus grands paradoxes du Grand Paris. L’image stigmatisante de la Seine-Saint-Denis ne reflète pas ce qui s’y passe réellement. La vitalité de ce département a peu d’équivalent.

Si vous deviez « raconter » deux lieux de la banlieue parisienne, quels seraient-ils ? 

Vitry, qui est une galerie d’art à ciel ouvert exceptionnel. Comme le dit le spécialiste du street art d’Enlarge your Paris, à Vitry, il faut une vision non pas à 360 mais à 380 degrés pour être sûr de ne rien rater. Il y a des œuvres partout : cette ville est une planche à dessins pour les artistes.

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Vitry City

L’autre spot serait la forêt de Fontainebleau. Une pure merveille avec ses roches aux noms fantasmagoriques (le diplodocus, la tortue, le cul du chien, etc), son sentier des vingt-cinq bosses – sorte de GR20 francilien -, et ses plages de sable blanc.

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Et tout ça sur une surface qui représente 2,5 fois Paris intra-muros…

Point pop-culture : quels sont vos références en termes de banlieue fictive ou racontée ?

Les passagers du Roissy-Express de François Maspero, le label de Soul Q-Sounds recording à Montreuil, Nightrunner le super-héros de la zone suburbaine, Billy la banlieue l’anti-héros pixelisé de la banlieue, et le film Les Bosquets du photographe JR.

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Enfin, avez-vous jeté un oeil du côté d’autres “banlieues”, ailleurs en Europe et dans le monde ? Est-ce que le sujet vous intéresse au point d’en étudier le phénomène générique avec ses particularités locales ?

Les centres des grandes métropoles ont tendance à cannibaliser la périphérie. On le voit avec New York. Il suffit de feuilleter le Lonely Planet pour s’en rendre compte : deux cent pages consacrées à Manhattan, cinquante pour Brooklyn et le Queens réunis, et seulement une pour le Bronx. Et même quand les ordinateurs calculent le parcours idéal à New York, ils évitent soigneusement les quartiers satellites de Manhattan.
Autre caricature, la « ville rêvée des Parisiens » dessinée par Mastercard qui, elle, fait carrément disparaître la banlieue sous l’effet conjugué d’un tsunami et d’une guerre thermonucléaire. Certes, la banlieue est souvent moins clinquante que le centre. Doit-on pour autant s’arrêter aux apparences ? Tout ça pour dire qu’en effet, le sujet nous intéresse !

  1. On y trouve notamment 786 lieux de diffusion du spectacle vivant contre 386 à Paris, selon les chiffres 2014 de l’Arcadi []

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