7 octobre 2020
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L'observatoireArticles

Marketing territorial : le quartier commerçant de Fukuoka en dessin animé

Hakata Mentai! Pirikarako-chan est une mini-série d'animation japonaise diffusée au cours de l'été 2019. Sans doute passée inaperçue pour le commun des mortels, elle a tapé dans notre œil avide d'imaginaires urbains.

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De prime abord, voici le pitch officiel de cette mini-série :

« Dans un quartier commerçant qui ressemble beaucoup au centre historique Hakata à Fukuoka, Pirikarako-chan est une fée aussi mignonne qu’adorable qui tente chaque jour d’aider les habitants. »

On est donc pas à Hakata mais presque

En réalité, derrière ce résumé quelque peu banal, se cache un guide fantasque des meilleures spécialités de la préfecture de Fukuoka. Toutefois très court, cet anime est remarquable si l’on s’intéresse aux penchants « pop » du marketing territorial. Présentation de ce petit morceau de pop-culture qui donne envie de venir se régaler dans la plus grande ville de l’île de Kyūshū.

Les spécialités personnifiées

Le caractère promotionnel d’Hakata Mentai! s’explique sans doute par le fait qu’à la réalisation, on trouve Kyushu Asahi Broadcasting, une radio locale. On ignore toutefois le contexte de production mais on peut totalement imaginer que c’est une commande de la ville, voire du quartier mis à l’honneur. Ou bien la préfecture prévoyait-elle de célébrer d’autres localités dans une série de dessins animés à venir ?

Vues variées de Hakata 

Plutôt que de raconter le quotidien d’une rue commerçante (shotengai en japonais) ordinaire, chaque épisode met en scène une petite intrigue fantaisiste, couplée avec les codes classiques de la pop-culture et une poignée de personnages hauts en couleur. Chacun d’eux est un commerçant du shotengai ou un habitant du quartier.  Mais avec une petite spécificité en plus puisque ils sont pour la plupart associés à de la nourriture par un signe distinctif dans leur tenue, coiffure ou accessoires. A bien y regarder, les douze petites histoires sont des prétextes scénaristiques pour faire connaître, voire célébrer, les spécialités culinaires de Fukuoka.

Parmi les personnages, on distingue Caviar-kun avec sa coiffe en oeufs d’esturgeon ; Baran-kun, la petite herbe en plastique qui permet de séparer les aliments dans un bento ;  Motsunabe-oyaji, qui porte le nabe (un plat d’hiver proche de la fondue chinoise) local sur sa tête ; le trio de fraises Amao (des fraises charnues de la région) ; ainsi que Pirikarako-chan (ci-dessus représentée géante à côté de la tour de Fukuoka), toujours accompagnée de Sousuke-ojisan, le mentaiko (rogue de colin) qui trône en haut de son crâne.

Littéralement le pitch de l’anime

Un peu calqués sur la subtilité de l’architecture canard, les personnages de Hakata Mentai! sont des sortes de produits marketing ambulants – qui restent toutefois très sympathiques.

Cours d’Histoire-Géo culinaire

En plus de mettre en scène des spécialités personnifiées, l’intrigue de chaque épisode regorge de petites anecdotes et d’allusions aux traditions culinaires locales. Ça fait peut-être un peu forceur dit comme ça mais le format étant vraiment court et amusant, on vous promet que ça passe comme une lettre à la poste.

Battle de restaurants de ramen chacun représenté par une ville de la zone (Kurume et Fukuoka) qui s’arrachent ici la maternité du tonkotsu ramen. Et la petite explication qui va bien sur la différence majeure entre les deux recettes…


Tout un épisode sur une expression locale pour présenter un plat apprécié à Fukuoka (le goma saba)

Un épisode dans l’univers horrifique des fantômes japonais pour présenter les brochettes d’abats de poulet, populaires dans le quartier de Hakata

C’est ici le trope de l’intrigue policière (un vol au musée) qui a été choisi pour mettre en valeur un dessert local

Un concours culinaire façon émission de TV pour découvrir d’autres desserts fourrés

Un épisode sur l’origine des fraises cultivées là-bas

On en apprend même un peu sur l’Histoire et la géographie de ces mets divers et variés. Et on se rend compte que le format anime fonctionne vraiment très bien pour faire la promo des territoires.

Des nouilles à la cuisson rapide pour les ouvriers d’antan

Petite querelle des Anciens et des Modernes entre fondues

La faune locale inspire les pâtissiers

On en place une pour les coins touristiques autour de Fukuoka, surtout si une spécialité culinaire peut être mise en avant au passage

Et pourquoi pas inventer un mal de gorge dans le dernier épisode pour pouvoir glisser une petite dédicace au meilleur miel de la région…

La culture touristique japonaise est en réalité assez ancienne et elle regorge de procédés géniaux pour mettre en valeur ses quartiers, villes et régions. Sans vous en faire une liste exhaustive, on pense par exemple aux mascottes, aux festivals locaux ou à la collectionnite des lieux (avec les tampons de gares et autres cartes répertoriant les plaques d’égout).

Surtout, cette série animée focalisée sur les spécialités culinaires nous rappelle l’une des coutumes les plus célèbres de la pratique touristique au Japon : l’omiyage. Si on le traduit communément par « souvenir », omiyage signifie littéralement « produit de la terre ». Ce n’est pas toujours quelque chose qui se mange mais c’est très souvent le cas. Ce sont donc des petits souvenirs bien emballés que l’on rapporte d’un voyage à ses proches. Toutes les gares et autres lieux de passage touristiques abritent ainsi une ou plusieurs boutiques à souvenirs qui prennent bien souvent la forme de petites boîtes de gâteaux assez élégantes.

Vous l’aurez compris, les Japonais sont très forts lorsqu’il s’agit de faire la promo de leurs territoires. Ils vont plus loin qu’un merchandising tape à l’oeil et quelques affiches publicitaires dans les couloirs du métro.

Les commerces locaux à l’honneur

Sous couvert de ces recommandations culinaires localisées, Hakata Mentai! met officiellement en scène la petite vie d’une galerie marchande nippone, les fameux shotengai dont on vous parlait dans un billet Demain la ville. Le canon des représentations animées de ces rues commerçantes, c’est Abenobashi Magical Shopping Street (2002), qui prend place dans le quartier commerçant d’Abeno, à Osaka. Plus récemment, on vous parlait aussi d’une guerre entre un modeste shotengai d’artisans et une galerie marchande de gare refaite à neuf, mise en scène dans un épisode de Food Wars! Et donc maintenant avec Hakata Mentai! on commence à avoir une belle collection d’animes japonais consacrés à la (sur)vie de petits commerces.

N’ayant jamais mis les pieds à Fukuoka, et malgré quelques recherches, impossible de localiser exactement le shotengai dont s’inspire Hakata Mentai!
L’un des plus anciens, Kawabata Shotengai (sans doute le plus connu de la zone) ne ressemble pas vraiment à celui du dessin animé, ne serait-ce que parce que l’un est couvert et l’autre non.

Dans la lignée des autres animes que l’on vient de citer, le sujet d’Hakata Mentai! est-t-il vraiment la revitalisation du tissu commercial du quartier de Hakata ? On ignore pour tout vous dire la situation économique actuelle de ce quartier commerçant plutôt connu pour son animation. Mais les galeries marchandes et quartiers commerçants japonais (les shotengai, donc) souffrent en effet d’une désertification certaine depuis quelques années déjà.

Si vous rêvez de nous financer un voyage d’étude sur l’état des commerces nippons, vous savez qu’on sera ravis de partir pour en percer le mystère. Mais en attendant de pouvoir de nouveau mettre les pieds au Japon en tant qu’étrangers, contentons-nous de vous montrer la diversité des enseignes de bouche mis en exergue par notre dessin animé.

Du petit resto de quartier au café branchouille, en passant par la vieille marchande ambulante, les stands éphémères à la fête du temple et la « gargote clandestine » installée dans un cimetière hanté, vive les petits commerces locaux ! 

Si l’on en croit le compte Twitter ci-dessous, il semblerait qu’une partie des commerces mis à l’honneur dans Hakata Mentai! soient des enseignes bien réelles du quartier de Hakata ! Cette révélation nous donne encore plus envie de connaître son contexte de production. Les personnages bigarrés de la série ont-ils eux aussi été inspirés par les commerçants du quartier ? L’écriture des petites intrigues repose-t-elle d’une quelconque manière sur les idées des habitants ? Ayant peu d’informations en français sur cet anime, on peut absolument tout imaginer. Et donc fantasmer qu’une production de contenus pop, kawaii et réussie est possible à l’issue d’un gros travail de concertation ?

On ne sait pas ce que vous en pensez, mais si la culture de l’animation était plus forte en France, on pourrait tout à fait imaginer des productions similaires pour promouvoir nos territoires. Depuis la pandémie et le ralentissement du tourisme international, les affiches à l’effigie de nos régions se sont clairement multipliées sur les supports publicitaires. Mais donnent-elles vraiment envie de partir à la découverte de ces villes moyennes et autres spots à randonnées ?

Mega hâte de voir le dessin animé promouvant le terroir de Vesoul avec une attaque de cancoillotte géante dans la zone co’

Ce n’est clairement pas la première fois que l’on vous parle d’animés japonais qui font un meilleur boulot de marketing territorial que les canaux et supports communicationnels classiques. Mais en ce moment, avec l’explosion du locavorisme, la résurgence du mythe de l’autosuffisance alimentaire à l’échelle urbaine, et le lancement tout récent du nouveau programme d’accélération de relance territoriale « Petites Villes de demain » par l’Agence de cohésion des territoires, on se dit qu’un Hakata! Mentai à la française vaudrait vraiment le coup.

2 commentaires

  • J’ai découvert cet article grâce à la notification ping arrivée sur mon blog (merci des liens vers mon blog, par contre j’aurais juste aimé qu’on me demande avant d’utiliser une de mes photos. Même si elles sont loin d’être des oeuvres d’art elles ne sont pas pour autant à disposition. Je ferme les yeux cette fois car l’article est vraiment intéressant).

    Ne regardant pas trop la télévision je suis complètement passée à côté de cette mini-série et elle m’intrigue beaucoup. je vais m’empresser de chercher si elle est rediffusée quelque part.

    Concernant le shôtengai, d’après les images et grâce à la tour de Fukuoka je pensais que c’est celui de Nishijin et après recherche c’est effectivement le cas.

    • Bonjour Béné ! Je suis désolée de ne pas avoir pensé à vous demander l’autorisation pour la photo. Vu qu’elle est signée et que je renvois à votre blog je ne pensais pas que cela poserait problème mais je peux tout à fait l’enlever ou indiquer plus clairement les crédits, sans problème. Si une prochaine fois se présente je ferai évidemment la démarche de vous demander l’autorisation. Encore pardon :/
      Merci en tout cas pour l’intérêt que vous portez à l’article. En France, la mini série était en accès libre sur Crunchyroll il y a quelques mois (elle y est peut-être encore), je ne sais pas si cela peut vous aider. Et c’est super que vous ayez retrouvé le shotengai dont s’inspire la série ! J’espère vraiment que vous aurez l’occasion de la voir. N’hésitez pas à nous recontacter via Twitter ou autre pour reparler de tout ça. Votre regard nous intéresse beaucoup et si jamais vous tombez sur plus d’éléments concernant le contexte de production de cet anime, on serait ravis d’en savoir plus ! Merci et bonne continuation à vous

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