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Paris 2024 : Go go gadgeto logo

Gilles Juan travaille dans des écoles de design depuis qu’il a terminé ses études de philo, et ça lui laisse du temps pour écrire. Sur le foot principalement, sur la liberté d’expression, aussi, et sur la communication visuelle quand il se passe des choses troublantes.

Le 14 novembre 2019 - Par qui vous parle de , , , ,

Il y a quelques semaines lors de sa révélation auprès du public, l’emblème de Paris 2024 a immédiatement fait parler les réseaux sociaux. Les premières analyses sincères et pertinentes sont venues de détournements immédiats : l’enseigne de salon de coiffure a triomphé, parmi les rapprochements avec le logo de Tinder ou le profil simplifié d’Adolf Hitler (toujours incontournable).

A l’ère des mèmes, on sait que la profusion de détournements signale parfois qu’une image relève du génie. Or cet “emblème” – mot que le Comité International Olympique préfère à “logo”, sans doute pour faire oublier sa dimension de “marque” (raté ! Il y a le petit ™ en bas à droite du cercle…) -, n’a rien de génial. Au contraire, le contraste entre, d’un côté la fierté du CIO d’avoir mêlé trois figurations pour composer l’image, et d’un autre côté l’impression immédiate de stupidité et de fadeur de l’ensemble, génère beaucoup de malaise.

C’est peut-être parce que, convaincu qu’il faut mettre fin au gaspillage d’énergie dans les cités modernes, le CIO a décidé d’économiser sur l’élaboration de l’identité visuelle des grands événements sportifs urbains ? Ou bien parce que la narration1 du logo des prochains JO (ceux de Tokyo 2020) est un peu trop subtile,  – et qu’on ne peut du coup pas se permettre de prendre le risque d’être obscure deux fois d’affilée ? Quoi qu’il en soit, il nous semblait intéressant d’analyser différents éléments de cet échec graphique pour comprendre des enjeux de marketing territorial rarement mis en évidence…

Sans expression

Le dessin de Marianne incarne tout particulièrement la nullité du logo et trahit une incompréhension totale de ce que doit être une identité visuelle. Cette figure est triplement problématique : Marianne n’est plus qu’une femme, sa représentation est banalement figurative, une femme ce sont des lèvres et des contours “féminins”.

Le logo est figuratif, c’est-à-dire : il choisit d’imiter l’apparence de la chose désignée pour qu’on la reconnaisse. Pour en rester aux questions graphiques, l’impression de superficialité vient d’abord de là : avec cette image, Marianne n’est plus que ça – une nana.

Ah oui, Marianne j’connais.

La figuration n’est pas condamnée à la banalité dans l’absolu. Si ce logo est vide de sens, c’est parce que la figuration est aussi, pour les JO de Paris, un refus d’être “expressif”. Tel un étudiant de première année, le CIO a confondu sobriété et inexpressivité, quand tout l’art d’un logo est au contraire d’être simple et expressif. Le logo Nike (pour prendre l’exemple d’une marque qui ressemble à la marque CIO) est simple et expressif sans être figuratif ; ce n’est pas une basket stylisée sur illustrator, il veut dire quelque chose comme l’énergie, la vitesse, la signature…

Il “dit” cela, ce logo Nike, en un sens particulier, il “dit” comme doit “dire” un logo : un bon logo n’imite pas, il “évoque”, il ne montre pas du doigt, il préfère l’allusion, la sensation, l’expression, l’imprécision en un sens, mais la suggestion quand même.

On verra peut-être mieux de quoi il s’agit en réalisant que la figuration aussi peut parvenir à être “évocatrice”. L’agence Graphéine a publié ses propositions pour l’identité visuelle du même événement et, alors même qu’elle a choisi la Tour Eiffel (prétextant que pour l‘international, Paris ne peut guère se dispenser de cette référence), alors même qu’elle a aussi voulu se risquer aux combinaisons de formes, elle a réussi à faire quelque chose “d’expressif”:

A faire quelque chose d’expressif, c’est-à-dire à suggérer du caractère grâce aux motifs, à proposer des associations d’idées par le graphisme. Les anneaux olympiques se déroulent et on voit la tour Eiffel, on imagine les pistes d’athlétisme, pas besoin d’en avoir huit si on les “exprime”, si on dessine l’idée de course elle-même, ou l’élan, l’objectif. Quand on considère cette image, on enrichit le logo grâce à ce qu’il a lui-même proposé d’ajouter en courbant les formes. C’est via le dessin et les couleurs qu’on projette un esprit, ça évoque le parcours, l’enjeu, le sommet, ça désigne finalement assez précisément, comme le rappelle l’agence dans sa présentation, la devise du CIO himself : Citius – Altius – Fortius ; plus vite, plus haut, plus fort. Et ce, tout en restant élégant, joyeux, et en suggérant d’autant plus de lectures de formes qu’on n’en n’a pas figuré une trop précisément.

Une identité visuelle, ce n’est pas une référence ou un secteur illustrés. C’est l’incarnation – dans un signe très concentré en quelques sortes, paradoxalement expressif et simple – de valeurs, ou si l’on veut rester dans le champ lexical du marketing territorial, d’un “positionnement”.

Sans profondeur

Sans intention graphique pour la représenter, Marianne n’est plus une valeur : le symbole est réduit à sa plus pauvre expression. Aucune singularité, aucun caractère. On a fait le choix prudent, pour ne pas dire lâche, de la neutralité pour prétendre à l’universel. Selon le CIO, la Terre (des signes) est plate.

Idem pour la flamme: c’est juste une flamme. Elle n’a pas une énergie particulière, une intensité, une chaleur à elle – celle dont on aurait voulu colorer la flamme olympique. Pas de spécificité, et pour cause ! Il fallait qu’elle dessine un visage, qui devait s’inscrire dans une médaille – qui n’est elle-même figurée par rien d’autre qu’un rond ocre. (Il a peut-être été envisagé de la faire briller ? ça aurait aussi fait un soleil ! Non plus trois, mais quatre figurations en une ! Et Marianne aurait été rayonnante !)

Conséquence d’une figuration sans expression : les “explications” qui l’accompagnent paraissent complètement connes. Quand on n’exprime rien par le graphisme, on peut bien lui faire dire n’importe quoi… Morceaux choisis :

“L’emblème exprime toute la fierté d’un pays d’accueillir le monde dans sa capitale en 2024.”

“Ces flammes invitent à oser, à rêver, à entreprendre et à inventer une nouvelle façon de mettre en scène les Jeux Olympiques et Paralympiques.”

“des jeux ludiques pour jouer dans une atmosphère jouable avec des joueuses et joueurs enjoués”

“Visage familier, omniprésent dans la vie quotidienne des Français, Marianne rappelle aussi que ces Jeux seront des Jeux pour tous.”

Ah la la, si Pierre de Coubertin lisait cela, lui qui publiait en 1912 :

“Une petite Olympiade femelle à côté de la grande Olympiade mâle. Où serait l’intérêt  ? […] Impratique, inintéressante, inesthétique, et nous ne craignons pas d’ajouter  : incorrecte, telle serait à notre avis cette demi-Olympiade féminine. Ce n’est pas là notre conception des Jeux olympiques dans lesquels nous estimons qu’on a cherché et qu’on doit continuer de chercher la réalisation de la formule que voici  : l’exaltation solennelle et périodique de l’athlétisme mâle avec l’internationalisme pour base, la loyauté pour moyen, l’art pour cadre et l’applaudissement féminin pour récompense.”

Sans la ville

On verra en quel sens les JO de Paris 2024 seront “des jeux pour tous”. En attendant, l’emblème fait moins penser à la fierté d’accueillir le monde qu’à la flamme des Le Pen. Marine ne s’y est pas trompée en tweetant dans la foulée “La flamme en bleu-blanc-rouge… et le logo des JO se transforme en logo du RN”.

Cette évidence souligne en outre que c’est la France plutôt que Paris qu’on a prioritairement voulu fondre dans les symboles de l’olympisme, avec Marianne. Mais pas de bol, il se trouve ici que :

(Nation + logo + flamme) / stylisation =  FN

C’est ainsi, c’est comme ça, c’est trop tard. Dans l’univers des symboles, des significations culturelles précèdent toujours le travail des graphistes ; il faut s’y intéresser quand on a l’idée que “la flamme illustre l’énergie unique des Jeux”.

Une autre flamme dorée à Paris, qui n’évoque pas vraiment Paris

Pourtant la ville est encore là, aux dires du CIO. Car “comme Paris”, le logo a paraît-il “une ligne sobre et pure”. Evidemment cela ne veut absolument rien dire puisque d’une part Paris n’a pas une ligne sobre et pure, et d’autre part cette caractéristique s’applique à 99% des logos du monde – et d’ailleurs pas tellement à celui-ci, moins sobre que pompeux avec ses figures mêlées.

Il y a apparemment la volonté de recréer une typo censée rappeler Paris car elle “trouve son inspiration dans l’Art déco”. Alors ça se complique encore. Ce n’est pas l’Auriol non plus, mais on est plus loin encore de la Broadway et des contrastes forts qui caractérisent les typos art déco : la traverse du A, par exemple, et toutes les courbes des lettres, sont ici un ornement qui donne l’impression qu’on a un peu mélangé avec l’Art nouveau.

Design “art d’eco”, élégance frenchie & respect de l’environnement : un logo qui fait aussi aspirateur et vapoteuse 

Oui bon ben ça fait penser à Paris, quoi”, pourrait-on me rétorquer si on aime bien le logo. Et c’est vrai que Paris a son esprit typographique, comme il a son vert (des bouches de métro Guimard, des bancs…), il y avait là comme le début d’une piste… Mais la mention d’une typo évoquant Paris relève plutôt de l’alibi.

Cela dit, quand il a été question de marier pour de vrai le logo avec la ville, lors du dévoilement public de l’identité visuelle, cela s’est fait avec grande étroitesse d’esprit.

Ne surtout pas déborder sur le Grand Paris hein

Le logo est dans la ville, à l’intérieur de ses frontières. C’est sans doute un choix graphique inconscient, non prémédité. Mais ce n’est pas un parti pris anodin, ça ressemble davantage à un acte manqué. Paris aurait pu être entourée par la forme du logo. Si on avait fait déborder l’emblème au-delà des limites strictes de Paris, que l’on avait tracé la médaille-cheveux autour de la ville, on aurait pu envoyer un autre message. En mordant sur la banlieue, un grand cercle aurait signalé une ouverture sur l’extérieur d’autant plus légitime que des sites sportifs vont s’y trouver.

Mais là, non. Là, le cercle est péniblement resté intra périphéros – et l’on pense davantage à ce qui n’est pas dans la zone entourée qu’à ce qui y est. On voit une vision de Paris étriquée.

Sans rien du tout

En bref, ce logo remplit une nouvelle fois, et tragiquement, son cahier des charges. Ne rien évoquer, ne rien exprimer, ne rien traduire par le graphisme, ne prendre aucun risque, rester lisse, ne pas travailler. Au lieu d’un inédit emblème affirmé, on a une énième marque déposée.

  1. L’explication officielle des choix graphiques de l’emblème : “Les trois différentes formes de rectangles représentent la diversité. Nous sommes tous différents, et c’est ce qui fait notre charme. Nous sommes tous différents, et c’est ce qui nous unit. Le moment est venu, où chacun se respecte et s’entraide.” []

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