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Pratiques de l’espace public en terrain nippon

Le 3 novembre 2014 - Par qui vous parle de , , ,

Notre première radiographie de la rue japonaise (d’abord ici, puis ) nous a permis de brosser ses caractéristiques principales. Il est temps maintenant d’élargir notre réflexion à l’ensemble de l’espace public (y compris le monde merveilleux des transports).

Mais qu’y fait-on ? Que se passe-t-il de particulier dans l’espace public au Japon ?  Parce qu’on ne fait définitivement pas qu’y marcher, un focus sur quelques pratiques nippones plus ou moins ordinaires semble des plus opportuns.

S’asseoir dans l’espace public : recherche désespérément banc digne de ce nom

Les rues japonaises conservent leur mission première : être un espace favorisant le flux piéton (et cycliste quand le tracé existe). Les éléments pouvant le ralentir, voire le gêner, semblent donc proscrits : les bancs ne font pas exception. Extrêmement rares à Tokyo, ils font quelques apparitions dans des villes moins importantes, sans pour autant être la règle.

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Un banc over-size à Nara (la ville amie des bancs)

Dans les villes, ce mobilier semble souvent limité aux parcs. Si vous êtes fatigués dans le centre de Kyoto, vous n’aurez pas d’autres options que celle de poursuivre votre marche. Pourtant, personne ne s’explique la rareté de ce mobilier qui parait si utile aux yeux des habitants : dans cette discussion, les japonais eux-mêmes  reconnaissent que la rareté des bancs tient du mystère.

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Un banc armé de beaux accoudoirs anti-SDF dans le parc de Nagoya

Crainte de populations stagnantes ? Peur des rassemblements de petites mamies ? On privilégie en tout cas le flux, le mouvement plutôt que la possibilité d’une pause, d’un arrêt pour se détendre, contempler, se ressourcer. Les passants fatigués se rabattent alors sur le mobilier pouvant faire office, de près ou de loin, d’assise : de beaux détournements au quotidien !

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Comment faire pour casser sa graine dans la rue sans aucun banc à l’horizon? On retourne à nos premiers amours, les potelets (Kobe)

Pas de banc ? Pas de potelet ? Alors il ne reste plus qu’à vous accroupir en toute décontraction pour soulager vos jambes. Cette position, appelée « Asian squat », est largement adoptée en Asie – comme son nom l’indique – comme posture de repos dans l’espace public (voir ce petit article pour en savoir plus sur l’ « Asian squat »).

De poubelles tu ne trouveras point

Si la présence de bancs publics peut être discutable selon la ville ou le quartier visité, une absence reste manifeste : celle des poubelles publiques. Détail anecdotique s’il en est, il pose de vraies questions d’organisation au fur et à mesure de nos déambulations : où stocker/déposer les déchets amassés au fil de la journée (emballages, prospectus…) ? Comment se fait-il que les rues ne soient pas jonchées de détritus, faute de mobilier pour les réceptionner ? A cette question, j’ai ma petite explication : la discipline japonaise ! On comprend vite les sacs imposants portés par les japonais. Et encore une fois, les konbinis semblent compenser ce manque par l’existence de poubelles à l’extérieur de chaque point de vente.

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Image rare ! Des déchets jonchant la chaussée à Osaka (cette ville de grands rebelles)

Pas moyen de s’asseoir ni de se délester des déchets qui encombrent notre sac : les rues japonaises ne seraient-elles pas un peu cruelles ? A moins que la notion de confort y soit légèrement différente : le confort, c’est d’avoir de petits services payants (mais abordables) omniprésents pour répondre à des besoins d’organisation ou des besoins plus vitaux (essayez de ne pas boire par 38°C avec un joli 80% d’humidité…).

Dormir dans l’espace public ? Challenge accepted !

L’action de se détendre, de se prélasser est socialement plus acceptée en intérieur, dans les lieux de consommation et de loisirs, mais reste assez peu commune en extérieur. Cependant, dormir partout, et à n’importe quel moment de la journée, relève du sport national au Japon.

Dans les transports en commun, les restaurants, la rue, le petit somme est une institution et se pratique à toute heure de la journée… Et ce quel que soit le niveau de confort de l’endroit et la position adoptée (les transports en commun reste néanmoins le meilleur spot pour une sieste). Pour preuve, la série de photo d’Adrian Storey sur le sujet, et les quelques spécimens rencontrés lors de notre périple. Certains japonais poussent même la performance jusqu’à dormir debout (au sens littéral du terme). Une pratique toujours étonnante à observer, et pourtant si banale au Japon.

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Dormir dans l’espace public, un sport national au Japon

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Le sommeil japonais ou l’art du parfait équilibre

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Japonais assoupi déniché dans le grand recensement de positions de sommeil dans les transports en commun sur Japan Talk

La pratique de la sieste va d’ailleurs bien au-delà du petit roupillon dans les transports : au Japon, il est socialement accepté de piquer du nez au travail, preuve du fort engagement de l’employé, et de l’épuisement qui en résulte. Cette forme de sieste, appelée inemuri, est même encouragée par les entreprises (comme quoi, le Japon a un temps d’avance sur la France, où la tendance émerge depuis peu). Mais attention : si le sommeil est toléré, celui-ci doit rester discret. Autrement dit, interdiction de s’endormir en s’étalant nonchalamment sur son bureau.

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Un employé rompu à l’exercice de l’inemuri (crédit photo mackensieleigh)

Bien sûr, qui dit sommeil impromptu peut aussi dire consommation abusive d’alcool. C’est souvent le lot des jeunes en fin de soirée, mais aussi des salarymen qui auraient abusé de l’afterwork. Cela se traduit souvent par des somnolences dans des positions peu banales sur la voie publique.

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Séance de yoga pour personne alcoolisée (Source : Dailymail )

Pour tenter d’endiguer ces situations gênantes et peu flatteuses pour les buveurs malchanceux, des campagnes de prévention et autres signalétiques sont mises en place par les autorités locales pour sensibiliser le public (voir ci-dessous le panneau informatif de la compagnie Tokyo Metro). Les bars eux-mêmes sensibilisent leurs clients à l’ivresse publique, à l’image de la campagne de la chaine de bars Yaocho, dont les ivrognes assoupis sont les acteurs centraux (bien malgré eux).

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Ces ivrognes qui se mettent un peu trop à l’aise et traumatisent les autres voyageurs (Crédit : Japan Talk)

Fumer : être rebelle ou se conformer aux dures lois du mobilier urbain

En termes de pratique répandue dans l’espace public et pourtant si distincte de celle des autres pays, l’acte de fumer se pose là.

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Kobe, ton univers impitoyable

Dans les rues japonaises, fumer est un acte réglementé, périmètré, voire interdit. Certains quartiers sont clairement annoncés comme non-fumeurs (comme à Kobe, avec ses panneaux sans ambiguïté) : gare à celui qui y allumerait innocemment sa cigarette. Le français fumeur qui a l’habitude de jeter nonchalamment son mégot dans la rue serait la cible des regards furibonds des passants au Japon.

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Interdiction de fumer des cigarettes géantes en déambulant, merci

Quand fumer n’y est pas interdit, des dispositifs limitent cette action dans un périmètre étroit. On peut ainsi observer avec amusement des « espaces fumeurs » cloisonnés dans certains lieux publics, ou des bornes cendriers dans lesquelles les fumeurs sont priés de jeter leur cigarette. La rue doit rester vierge de toutes cendres ou mégots froids, tandis que dans les cafés et restaurants, fumer reste autorisé ! Une sorte de monde à l’envers par rapport à la législation française. Encore une fois, l’acte de stationner dans les rues parait limité au possible : le flux, toujours le flux.

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A Shibuya (Tokyo), le plaisir de pouvoir fumer près d’une borne ou de faire un aquarium entre amis

Mais parfois, quelques japonais téméraires brisent les normes et s’offrent un moment de liberté tabagique, loin des cabines fumeurs oppressantes et des tristes bornes.

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 Et si les fumeurs reprenaient le flambeau de la ville agile ? (Vu à Tokyo)

Rarement, vous croiserez ce type de petits aménagements (photo ci-dessus) bricolés sur l’espace public – ici dans le quartier de Kabukicho. Ces fumeurs rebelles sont néanmoins peu nombreux dans les rues japonaises, amour de la discipline oblige…

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