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“T’habites quand ?”: déconstruire l’habitat, de la sémantique aux pratiques

Le 3 juin 2013 - Par qui vous parle de , , , ,

C’est à l’occasion de l’exposition “Habiter demain”, organisée à la Cité des Sciences et de l’Industrie jusqu’en novembre 2013, que nous avons jugé utile de rebondir sur la notion même d’habitat. Utilisée sans jamais être remise en question, il semblait nécessaire de rappeler la non-évidence d’un tel concept, dont la construction sémiotique évolue forcément selon le contexte social de son utilisation. De fait, cette “évidence sociale” massive pose un certain nombre de questions. Autrement dit : avant de parler de ce qu’est l’habitat de demain, encore faudrait-il réfléchir sur ce qu’est “l’habiter” d’aujourd’hui.

“Habiter” constitue, dans la pensée collective, une pratique sociale “vieille comme le monde”, qui a fait couler beaucoup d’encre. Ainsi, la thématique de l’habitat – plus spécifiquement urbain – incarne un lieu commun de l’urbanisme et de la sociologie du siècle dernier (notamment hérité de la grande période Le Corbusier), ainsi que d’une prospective urbaine relativement émergente. En effet, les problématiques de l’habitat de demain représentent un enjeu sociétal actuel majeur, et vivement médiatisé. Au-delà des seuls métiers d’architectes et d’ingénieurs, cette question mobilise un grand nombre d’acteurs divers, de Leroy Merlin à Michel Serres (pour la SNCF), en passant par Ikea (NSFW)…

Nous sommes ressortis relativement déçus de cette exposition, tant par sa promesse (innover, toujours innover), que par son positionnement. Le modèle général de “l’habitable” de demain, tel qu’il y est présenté, est celui d’un domicile sédentaire, connecté et durable. Une vision quelque peu limitée de l’habitat, que n’équilibrent pas franchement les “alternatives” présentées dans l’expo de façon trop succinte (logements nomades, bidonvilles, etc.) Il en ressort une impression de déjà-vu, et surtout de grande consensualité.

J’habitais, j’habite, j’habiterai…ou pas

Cette déception invite à pousser la réflexion : qu’est-ce que “l’habiter” contemporain ? que représente-t-il sur le plan social, et sociétal ? Les observations sociologiques et historiques empreintes de conceptions marxistes – sauce Bourdieu – nous invitent en effet à interroger le sens social d’une telle pratique, notamment à travers les âges. On pensera plus particulièrement à la société médiévale occidentale, dont la sémiotique de la pratique de l’habitat a génialement été mise en lumière par une poignée de chercheurs en Histoire.

De la même manière, l’inverse d’habiter prend un sens différent d’une société à l’autre, et c’est peut être l’analyse du sens du “non-habiter” qui est la plus éclairante.  Comme l’explique Joseph Morsel dans L’histoire (du Moyen-Âge) est un sport de combat (p. 153-156), “aujourd’hui, l’exclu de la société est par définition le S.D.F., tandis que la prison sert à mettre à l’écart (et à priver de R.M.I.) ceux qui, autrefois, auraient été bannis (rappelons que la condamnation à la prison en tant que peine est une innovation relativement tardive au Moyen Âge).“.

L’auteur énonce qu’à partir du XIème siècle au plus tard, le phénomène de “spatialisation des rapports sociaux”, corrélatif à la formation de communautés d’habitants, place la pratique de l’habitat comme base de l’organisation sociale de l’occident médiéval:

“C’est parce que les habitants pouvaient désormais avoir le sentiment d’avoir en commun un certain espace (un ensemble défini de lieux) qu’une nouvelle cohésion sociale a pu émerger à mesure que s’affaiblissait la cohésion globale fondée sur les rapports de parenté.”

Joseph Morsel rappelle la difficulté de définition du concept, qui, au Moyen Âge déjà,

« ne signifie pas seulement “être de quelque part” et “avoir des voisins”. L’examen précis du phénomène montre qu’“habiter” signifie également “produire quelque part”. En effet, si la dissociation entre le lieu de résidence et le lieu de travail est une donnée fondamentale dans notre système social – avec le système des migrations pendulaires quotidiennes au coût social (et écologique) énorme que nous connaissons –, il ne s’agit pas du tout du système qui prévalait durant l’ère préindustrielle. »

Home sweet job, job sweet home

Cette dissociation des modes de vie entre les deux systèmes sociaux est une remarque éclairante. Cependant, les analyses sociologiques et de prospectivistes urbaines sont fermes sur le sujet : les modes d’habiter/travailler occidentaux contemporains se transforment depuis une quinzaine d’années. Ainsi, le modèle décrit par Joseph Morsel semble trouver ses limites par divers aspects. D’autres l’ont montré mieux que nous :

  • Work in process, c’est quoi un bureau ?”, par Transit-City : une analyse des mutations sociales et technologiques historiques influençant les pratiques du travail – et les modes de vie en général -, contemporains.

  • De son côté, Chronos repère et examine “les nouvelles frontières du domicile” à travers quatre points : son hybridation avec la sphère professionnelle ; ses transformations vis à vis de l’émergence d’une nouvelle pratique de partage et de solidarité ; et sa capacité marchande.

  • Modes d’habiter – Occident” : ici Deux-Degrés s’amuse intelligemment à tourner en dérision le concept de télétravail, devenu caduque depuis l’arrivée plus critique du “télélogement”.

L’approche des mutations sociales actuelles comme angle d’analyse de la pratique de l’habitat semble bien plus nous pousser à réfléchir sur ses  futurs usages possibles. L’exposition “Habiter demain” abordait bel et bien cette problématique à travers une courte vidéo plaisante et éclairante. Dommage que cet aspect n’ait simplement pas été le point d’entrée du traitement de ce sujet complexe, mais seulement une illustration isolée.

1 commentaire

  • L’habitat de demain, c’est l’habitat coopératif : http://www.habicoop.fr
    Je suis personnellement membre de l’association La Jeune Pousse à Toulouse qui projette d’intégrer le futur ilôt participatif de la ZAC de la Cartoucherie.
    Effectivement, aborder les aspects uniquement technique quand on parle de l’habitat de demain est une vision « lorgnetique » :)
    La Jeune Pousse s’intéresse notamment aux partages d’espaces entre voisins, à la mixité générationnelle et sociale, au refus de la spéculation immobilière.

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