20 février 2017
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L'observatoireArticles

Habitat nippon : quand maison rime avec (ré)invention

Le 20 février 2017 - Par qui vous parle de , ,

À partir des années 1990, malgré l’éclatement de la bulle économique, les architectes nippons gagnent de plus en plus en renommée sur la scène internationale. En effet, l’archipel ne fait plus seulement parlé de lui à travers quelques noms célèbres, mais bel et bien comme représentant essentiel de la création architecturale.

Cependant, se démarquer au Japon n’est pas si simple pour les petits studios, peu impliqués dans des projets d’envergure – en général réalisés par les grosses firmes (Nikken Sekkei et autres). La maison individuelle apparaît alors bien souvent comme le terrain de jeu favori des architectes japonais plus discrets, qui redoublent d’inventivité pour satisfaire leurs clients : “Au Japon, le client qui décide de travailler avec un architecte est généralement en attente de prestations originales. Il arrive également avec des demandes singulières.” (Olivier Namias). Cela leur permet également d’avoir une visibilité à l’international à travers les publications de leur projets originaux dans des magazines spécialisés – à l’instar du Japan Architect, reconnu mondialement.

On vous passe ici le sempiternel catalogue des pet, tiny et autres XXS houses japonaises, déjà largement connu ! On le sait, les japonais savent relever d’ingéniosité pour (re)penser les petits espaces. Mais cette fois-ci, on s’intéressera d’avantage aux nouveaux usages qui viennent réinventer l’espace domestique nippon.

Les maisons ludiques : quand l’espace domestique devient terrain de jeu

La maison gymnase

Achevée tout récemment (janvier 2017), cette maison a particulièrement attiré notre radar à idées car elle explore avec brio de nouvelles fonctionnalités pour ses habitants. En effet, loin du stéréotype classique de la maison familiale, ce n’est pas le salon qui est au centre de l’espace mais bel et bien un terrain de basketball…

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Court House, KOIZUMISEKKEI, Shizuoka, 2015, crédits photo : Toshiyuki Yano

Pour ce projet, les architectes (on espère à la demande du client !) ont essayé de “créer une nouvelle relation entre le terrain de basket et l’habitat”. Pour cela, l’organisation s’inspire de l’architecture des gymnases, avec au centre le terrain de sport, et latéralement les espaces dédiés aux différents services. Ici, vestiaires et salles de stockage ont été remplacés au rez-de chaussée par les espaces de vie commune (cuisine, salle à manger, salle de bain) et à l’étage par les chambres.

La parcelle jouable représente ¼ de la taille d’un terrain classique, avec un panier situé à 3,05m et une hauteur sous plafond de 6m, autant dire que ça laisse largement la place pour dunker tranquillement entre le plat et le dessert. La double hauteur permet à la fois de lier les deux étages par des jeux de regards (grâce à la coursive), et à la fois de desservir les pièces situées latéralement. Tous les espaces s’enroulent autour du terrain, noyau central de la maison. A l’instar de tout bon gymnase, l’espace n’est pas pensé pour un seul usage, mais pour accueillir d’autres fonctions au fil du temps et de l’envie des propriétaires. Ainsi, le salon-cathédrale classique laisse place à un terrain de sport qui s’intègre parfaitement dans la maison et s’adapte aux besoins des habitants, offrant de nombreuses possibilités d’usages.

La maison toboggan

Quand la maison devient un terrain de jeu pour ses occupants, cela nous offre des projets étonnants comme celui de l’agence Level à Tokyo. Vu de l’extérieur, outre la façade en courbe, rien ne trahit l’originalité de son intérieur.

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Maison toboggan, Level architect, Tokyo, crédits photo : Level architect

La singularité de ce projet réside dans ses circulations, divisées en deux : montée et descente. Pour grimper, rien de bien excentrique :  un escalier classique dessert les différents étages. La descente quant à elle, offre une expérience bien plus divertissante ! A la manière « des centres de tri postaux ou des moulins modernes« , un toboggan longe la périphérie de la maison pour relier les différents niveaux à vitesse grand V. Terminées, les marches interminables le matin au réveil ! Une petite glissade stimulante, et on débarque dans la cuisine pour son café matinal.

Le rez-de-chaussée accueille le garage et une chambre de style japonais. Le premier étage regroupe les pièces de vie avec la particularité d’avoir un (petit) patio où les enfants s’amusent. Enfin, le dernier étage s’orne d’une terrasse, offrant un espace extérieur plus généreux. A travers ce projet, les architectes sont parvenus à concrétiser le souhait de leurs commanditaires : « créer une maison qui reste pour toujours dans la mémoire de [leur] trois enfants ». De notre point de vue, le pari est réussi !

Dans ces deux réalisations, les architectes ont réussi à réinventer la maison traditionnelle en y ajoutant des fonctionnalités ludiques, désirées par leurs propriétaires. Nul doute que les enfants de ces deux familles sont heureux de grandir dans un #HabitatPop irl !

Les Maisons-musées : quand l’habitat s’expose

La maison bibliothèque

Comme l’a très bien résumé un article dédié sur archdaily : « When we design a house for two families, independence of the two dwellings is always a big problem. » L’astuce a été ici de créer une bibliothèque sur double étage (de 30 000 livres !) au centre de la maison, afin de préserver l’intimité des familles tout en créant un espace partagé et convivial lorsqu’elles souhaitent se retrouver.

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House with 30,000 Books, Takuro Yamamoto Architects, Tokyo, 2016, credit photo : Takuro Yamamoto Architects

L’axe de la maison a été choisi en fonction du contexte, pour offrir une vue dégagée sur l’espace de lecture – pièce maîtresse de la demeure. Les appartements forment deux triangles situés de chaque côté du noyau, chacun possédant son entrée séparée, ainsi que son accès à la bibliothèque centrale. Au rez-de-chaussé, le plus grand des deux logements accueille les pièces de vie (cuisine et salon) et la salle de bain, ainsi que deux chambres et un bureau à l’étage. Le deuxième appartement quant à lui, plus petit, est un duplex descendant. Ainsi, la cuisine et le salon sont à l’étage tandis que la chambre se situe au rez-de-chaussée.

La maison du potier

Dans la même veine que le projet précédent, la maison qui nous intéresse ici est celle d’un artiste potier et de sa famille, souhaitant regrouper atelier et logement. Situé sur une parcelle longue et étroite, le bâtiment est orienté vers l’est pour capter au loin la silhouette du Mont Nijo.

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House for Pottery Festival, Office for Environement Architecture, Osaka, 2013, crédit photo : Yuko Tada

Les espaces sont pensés en continuité : d’abord l’atelier au rez-de-chaussée, puis les espaces de vie qui se déroulent au deuxième et troisième étage. Le tout est relié par un mur toute hauteur servant à exposer les travaux du propriétaire, autant qu’à souligner la verticalité du volume. Comme l’explique le magazine archdaily, la maison de 50m de long a été pensée comme une transition entre la ville et la chaîne de montagne apperçue au loin :

« « hare », which resembles the bustle of an approach that is open to the community, and « ke » with an open flow of wind, light, and line of vision, which consists of routine pottery work and family life. The building was designed to be a small house in relationship to the town, and in the environment. »

La subtilité et la beauté de ce projet s’expriment dans le changement de relation tissé avec l’environnement, qui s’opère au fil des étages et des orientations du bâti. On part du rez-de-chaussé – en lien direct avec la rue et ouvert sur la ville -, pour changer de point de vue au fur et à mesure des étages. On passe ainsi du “hare” au “ke”, pour enfin arriver au dernier étage, pièce phare de la maison : le salon avec cette magnifique vue cadrant les montagnes lointaines.

La maison-bibliothèque et la maison du potier parviennent toutes les deux à associer les fonctions de l’habitat avec  une conception spatiale proche de la muséographie. Dans les deux cas, les espaces intérieurs sont ouverts sur l’extérieur tout en se coordonnant avec les parties plus intimes du logement. De cette manière, les deux bâtiments allient astucieusement des fonctions de monstration avec les attentes traditionnelles du logement.

Quand les murs tombent : entre convivialité et in-timité

Kame house, La Maison tortue

A première vue, la maison “tortue” (kame en japonais) ressemble à un cube gris tout simple. Pourtant, son intérieur cache un agencement tout à fait original…

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Kame House, Kochi Architect’s Studio, Niigata, 2013, crédit photo : Takumi Ota

L’espace domestique est divisé en douze pièces réparties sur deux étages. L’architecte y a inséré un vide de forme hexagonale au milieu, créant ainsi un atrium en lien avec tous les espaces. « The result is a dynamic and complex interior that provides the experience of being present in all rooms without losing the possibility of retreating into just one. » (archdaily)

La maison inachevée

Comme l’évoque son nom, cette maison a été conçue comme “une résidence flexible pour une famille grandissante” afin d’offrir un maximum de liberté d’usages pour ses occupants.

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Unfinished House, Yamazaki Kentaro, Préfecture de Chiba

L’espace se compose d’un atrium en double hauteur donnant accès à quatre boîtes qui structurent le logement. Chacune accueille au rez-de-chaussé un aménagement “classique” de l’habitat (cuisine, salle de bain, etc), et à l’étage : une pièce libre d’appropriation. Ainsi, les quatre pièces en hauteur peuvent être utilisées comme bon leur semble par les occupants des lieux. Au fil du temps, des envies spontanées, des usages du quotidien, ces plateformes présentent ainsi un potentiel de personnalisation infini. A travers ce concept, l’architecte de la Unfinished House met en oeuvre l’une des fonctions essentielles de la chambre – pièce par excellence où s’accomplit l’individuel et le singulier.

Ces deux maisons réinventent la fonction classique du mur (séparer nettement les espaces), en privilégiant des relations plus complexes entre les différentes pièces de la maison. Ces choix d’agencement particuliers s’appuient ainsi sur des réflexions centrales qui animent l’architecture contemporaine des espaces domestiques. Comment ouvrir un espace privé de manière à optimiser, favoriser, ou limiter certains aspects relationnels tissés au sein d’une famille (intimité, partage, appropriation etc.) ? L’architecture personnalisée (de commande, pour un espace privé) s’attache depuis longtemps à répondre à ce type de questions. Et il est toujours édifiant d’observer ce qui se crée à ce propos dans un contexte contemporain, et qui plus est dans un pays étranger…

L’architecte, au service des habitants

Cette revue de presse inspirante est loin d’être exhaustive, mais elle donne un bel apperçu de la créativité contemporaine toujours plus fine de certains architectes japonais. Si le présent billet questionne avant tout les formes de l’habitat, il serait probablement intéressant de replacer ces créations dans un contexte japonais plus global. Juste après les évènements de mars 2011, le monde architectural s’est en effet empressé de réfléchir au rôle qu’il pouvait jouer sur le terrain, de l’habitat d’urgence aux projets de reconstruction. Mais qu’en est-il aujourd’hui, six ans plus tard ?

En 2013, dans une interview pour le Japan Architect, Shoko Fukuya, un membre fondateur du groupe ArchiAid participant aux actions sur le terrain de la reconstruction faisait déjà un premier bilan mitigé. En effet, elle mettait en lumière la difficulté et la complexité du processus de reconstruction, qui laisse peu de liberté d’action aux acteurs locaux :

“For one architect working in one locality, the public reconstruction projects under what in the stricken areas appear massive and complicated” (Japan Architect n°88 Hiver 2013)

En 2014, Naito Hiroshi en faisait lui aussi un amer constat :

“Malgré tous les dégâts, nous n’avons pas changé et le système social japonais n’a pas changé. Trois ans ont passé depuis le 11 mars, et un sentiment d’échec et de frustration s’est installé chez les architectes et les personnes liées à l’architecture.”  (“Now, via the process after 3.11”, Japan Architect n°  88)

Ce bilan est révélateur de la situation des architectes travaillant dans des petites structures au Japon. Finalement peu impliqués dans des projets de grande ampleur, on note toujours le même duel habitat de masse VS maison d’architecte… La maison familiale telle que nous l’avons vue précédemment – réinventée, personnalisée, créative – incarnerait-elle donc un très précieux terrain de mobilisation architecturale, et de liberté raréfiée pour ses concepteurs ?

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