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« Moi, jardinier citadin » de Min-ho Choi : de l’engrais dessiné pour une ville fertilisée

Le 12 avril 2016 - Par qui vous parle de , , , , dans parmi lesquels

Il y a quelques semaines, nous avons recueilli dans notre précieuse bibliothèque Moi, jardinier citadin, une bande dessinée sud-coréenne (manhwa) de Min-ho Choi, publiée en France en 2014. Autobiographique, cette série complète en deux tomes raconte les liens que tisse un jeune marié avec son potager, acquis dès les premières pages. Aménagé sur une parcelle de terre partagée entre plusieurs habitants, le jardin prend la forme d’une grande étendue de verdure, et de sillons soigneusement réalisés par ses propriétaires. D’un côté domine alors la montagne et sa forêt luxuriante, tandis que de l’autre culminent de grandes tours de logement – habitées par ce voisinage pépiniériste de tous âges.

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(autoportrait de l’autrice de ce billet)

Dessinés avec douceur et teintées de nuances pastel, scènes et décors s’écoulent au fil des pages au rythme des saisons. L’on suit alors les progrès du héros dans son appréhension de cette nature urbaine à apprivoiser, à comprendre, à respecter dans sa complexité. Nombre de doubles pages et de dialogues entre voisins donneront ainsi au lecteur un bouquet édifiant d’astuces et de règles liées à cette verdure réappropriée. Manifestement, notre curiosité se sera moins penchée sur les différents tips pour récolter graines de laitue et patates douces que sur l’émergence même d’une telle oeuvre de pop-culture, dans laquelle ville fertile et mode de vie coréen sont mis en lumière.

Asphalte, calme & botanique

Si l’ensemble de la narration et des saynètes reste quelque peu naïf, l’idée de concevoir un récit entièrement fondé sur la redécouverte de la terre par un citadin pur jus ne pouvait que nous enthousiasmer ! De fait Moi, jardinier citadin raconte l’histoire de l’auteur, quittant Séoul pour la ville de Uijeongbu, située juste au nord de la capitale dans la province de Gyeonggi.

UIJEONGBU

Considéré comme une petite ville (421 853 habitants tout de même en 2007), le « bled » choisi par Min-ho Choi pour sa nouvelle vie incarne donc le symbole d’une « mise au vert » pour la future petite famille nouvellement installée. Dès lors, l’aventure exposée dans ce diptyque graphique apparaît comme une réelle bouffée d’air frais en milieu bétonné. Ci-dessous, quelques moments capturés par-ci par-là, qui en disent long sur cette tendance à la mode qui vient potagérer les villes depuis quelques années…

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« Nous habitons des tours de béton, au nom du confort et de la rentabilité économique. Mais à quel prix ? Que perdons-nous en échange ? » p. 175, t.1

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Rare finalement sont les réflexions proprement urbaines dans les deux tomes de Min-ho Choi, à notre grand regret. Ci-dessus, l’évocation des conséquences climatiques du milieu aurait vraiment méritée d’être approfondie !

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La coexistence entre monde urbain et monde sauvage est également abordé du point de vue animal, avec la présence latente d’un sanglier ravageur dans le jardin partagé entre voisins. L’une des seules scènes purement urbaines de la BD concerne donc la planche ci-dessus, où le héros se retrouve devant une supérette et y apprend que la menace de la bête est à présent résolue. La ville joue ici le rôle d’informateur « officiel », contrastant avec le média plus généralement mis en scène dans la narration : à savoir les conseils et astuces formulés par les habitants eux-mêmes à propos de l’entretien du potager…

Quand le potager engraine le partage

Déjà évoqué à demi-mot ci-avant, l’autre point crucial du récit imagé de Min-ho Choi concerne évidemment les convivialités qu’entraîne l’aménagement commun du lieu. Les bulles gribouillées de planche en planche regorgent ainsi de conseils de grand-mère en tous genres, qu’ils concernent la confection naturelle d’un répulsif à insectes, ou la conservation du chou pour la réalisation d’un meilleur kimchi

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Petit moment de pause accordé entre paysans citadins pour discuter des performances potagères des uns et des autres. Au passage, pourquoi ne pas en profiter pour goûter les bocaux de fruits et légumes locaux fermentés ?

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Parmi les multiples dextérités mises en commun par cette petite communauté d’habitants, le recyclage d’objets du quotidien au service des plantations n’est pas oublié ! L’une des personnes âgées (très actives sur le terrain de l’exploitation agricole) apprend ainsi au héros à bricoler d’habiles jardinières en flacons recyclés et autres serres faciles à réaliser… En plus de se présenter comme un délicieux tutoriel de la ville fertile, « Moi, jardinier citadin » incarne également une sorte de manifeste illustré de la ville agile dont on ne se lassera jamais de parler.

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Toutes les raisons sont bonnes pour se réunir autour de ces rendements bio, et la redistribution d’une production très performante en est une excellente.

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« Je n’ai aucune envie de vendre ces légumes cultivés avec amour… encore moins à bas prix ! » (p. 182, t.1)
Dans cet état d’esprit, le protagoniste n’hésite alors pas à faire don (à qui veut) des légumes produits en grande quantité dans son potager. Une petite clientèle se développe alors du côté des voisins non-jardiniers, ainsi qu’en ville où le héros se rend à vélo pour livrer ses bouquets de verdure… Tout ceci gratuitement.

Voici donc un bel exemple d’économie solidaire et locavore. En plus de s’inscrire dans la tendance de la livraison à vélo – très à la mode en ce moment à Paris -, ce petit modèle économique renforce également les liens sociaux locaux. La générosité du héros est appréciée par le voisinage élargi, et les habitants lui rendent bien. Ainsi, chacun d’entre eux offre en retour coups de main ou ristournes en tout genre. La coiffeuse du quartier propose notamment, en échange, un prix sur la prochaine coupe du dévoué jardinier (de même que le boucher et la cordonnière lui soumettent leurs expertises respectives et ainsi de suite)…

Pouce en l’air pour les pouces verts

Plus qu’une simple fiction s’attaquant à un sujet très en vogue, Moi, jardinier citadin incarne une véritable bible sur le rapport que l’urbain contemporain entretient avec la nature et l’agriculture. A la fois didactique et très bien documenté, l’édition française de ce diptyque illustré comprend  en effet un certain nombre de contenus supplémentaires inédits. Ce sont pour la plupart des ressources engagées, rédigées par des militants ou pionniers de l’agriculture urbaine en France. On compte parmi elles une préface de François Rouillay (co-fondateur du mouvement Incroyables Comestibles France), ainsi que plusieurs témoignages et analyses exemplaires d’Eva Wissenz (écrivain et journaliste spécialisée sur les questions d’environnement). Pour vous mettre l’eau à la bouche :

« Mais qu’est-ce qui m’a pris, moi qui suis de la première génération de ma famille à pouvoir faire de bonnes études, de me compliquer la vie à jardiner, bêcher, piquer, débroussailler et me casser le dos, alors que mes ancêtres ont rêvé de supermarchés ? »

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Meilleur perso ever

Maintenant que la saison des semis et plantations a commencé, on vous conseille donc vivement cette douce lecture. En espérant que les aventures de Min-ho Choi vous donneront la main verte, on repart sur les routes de France pour observer les initiatives agrestes et champêtres qui fragmentent nos territoires embétonnés.

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