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Commerces : quand le collaboratif s’éveillera

Le 22 avril 2014 - Par qui vous parle de , , , , , ,

Depuis environ cinq ans, l’économie dite collaborative(1) occupe une place de choix dans l’observation de tendances sociétales de fond. Dès lors, un grand nombre de secteurs revêt sa casquette collaborative, aménageant ainsi offres et services fondés sur une intelligence collective et des prestations mises en commun.

Si l’on en croit notre veille quotidienne, on assisterait même à une certaine dictature du tout-collaboratif, tant le concept semble avoir pénétré l’ensemble des domaines de la vie quotidienne (production, alimentation, logement, mobilité, distribution, éducation, consommation, politiques locales etc.).

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Face à cet engouement généralisé, un certain nombre d’études et d’analyses émergent depuis peu pour interroger, comprendre et surtout relativiser cet enthousiasme global. En effet, comme le rappelaient les résultats d’un récent atelier organisé par la Fing, de nombreux freins font front aux innombrables leviers apparents de ces nouveaux modèles de consommation.

Parmi toutes ces limites – dont l’énumération n’est pas ici le propos -, une chose nous chiffonne tout particulièrement. Ainsi, en tant que grands gourous du renouvellement urbain, on souhaiterait pouvoir apprécier ces mutations de façon encore plus saillante, plus « concrète ». Et c’est notamment du point de vue du tissu commercial qu’il manque, à nos yeux, un véritable coup de neuf. Pour le dire plus clairement : où se cachent donc les échoppes collaboratives qu’on attend depuis si longtemps ?

Vers une éducation physique du collaboratif ?

Si on rappelait il y a quelques mois les indicateurs de la maturation avérée de certaines méthodes collaboratives, d’autres contours de la question semblent encore loin de s’épanouir totalement. D’un côté, des secteurs comme les mobilités ou le logement ont l’air d’avoir une bonne foulée d’avance. De l’autre, une poignée de domaines comme la distribution peine à innover dans ce sens.

Pourtant en ce qui concerne les consommateurs, tous les signaux semblent être réunis pour former un appel puissant à la Sainte Distribution Collaborative. Internet aura en effet veillé à éduquer toute une partie de la population au goût de l’optimisation des dépenses personnelles. Comme l’illustre entre autres la très belle liste de service partagés en ligne (relayée par Urbanews en 2012 et concoctée à partir des ressources du Blog de la Consommation Collaborative / OuiShare), les modèles collaboratifs s’organisent assez aisément sur le web.

Mais qu’en est-il de l’implantation physico-urbanistique de cette multitude d’initiatives ? Plus précisément : l’économie collaborative existe à peu près partout sous forme d’usages et de flux, d’échanges matériels et de rencontres réelles ; mais qu’en est-il de sa présence durable dans le bâti et le paysage urbains ?

Une économie, ça s’urbanise

La remarque peut paraître absurde puisque cette économie collaborative s’est avant tout déployée en réponse au besoin émergent de recyclage (de nos savoirs comme de nos biens). A l’inverse, l’architecture et l’urbanisme traditionnels représentent les archétypes du non-reconvertible tant les conditions de constructions et d’aménagement sont lourdes.

Ainsi, que l’on agence ou que l’on érige des morceaux de ville, l’engagement sera considérable à la fois en terme de temps (long terme) et d’infrastructure (bâti). Dès lors, faire se rencontrer ici économie circulaire et carrosserie lourde pourrait sembler contradictoire.

L’idée n’est pourtant pas ici de claquemurer diverses initiatives de partage et de reconversion mais bel et bien d’officialiser une tendance sociétale forte. Voyez plutôt dans cette réclamation la suite logique de cette affaire de partages. C’est notamment ce qu’a pu expérimenter une poignée de secteurs seulement.

Le cas le plus évident s’incarne probablement dans le modèle ancien de la bibliothèque. Pour le reste, on ne compte par exemple plus, à Paris, les lieux physiques de coworking, incubateurs et autres pépinières favorisant l’effervescence et l’innovation professionnelles…

Débrider le secteur de la distribution

Il serait donc possible de partager des ressources dans un lieu entièrement dédié à cela ? Bon à savoir. Il ne manquerait plus que le modèle se généralise… mais ne vendons pas la peau de l’ours avant de l’avoir tué !

Le constat demeure en effet que la plupart des initiatives de partage de biens (vêtements, nourriture, objets divers) sont réalisées dans des lieux informels (un vide-dressing à son domicile, la récupération d’un panier bio dans un café quelconque, un apéro-frigo dans la cour de son immeuble…) et au cours d’événements éphémères (vide-greniers et autres pop-up stores provisoires).

Finalement, les seules adresses urbaines à peu près stables où l’on peut aujourd’hui distribuer des ressources personnelles dans l’intérêt d’autres personnes, semblent se limiter… aux poubelles ? Le blog Demain la ville consacrait d’ailleurs il y a peu, un billet synthétique sur le mouvement des « déchétariens » (freegan), ces militants anti-gaspillage qui font leurs courses gratuitement dans les poubelles urbaines.

Un moyen pour le peu baroque de subvenir à ses besoins lorsque l’on possède un toit et un salaire… Et pourtant, partout où traînent nos baskets, on ne jure que par l’application d’une démarche écologique globale, pointant ici et là les pratiques de surconsommation et de gaspillage généralisées. N’avons-nous pas aujourd’hui de quoi survivre, pour longtemps encore, sur ce qui jusqu’alors fut produit ?

C’est en tout cas une partie du discours qui accompagne la motivation croissante de voir pulluler dans nos villes des nouvelles formes de commerces, fondés sur cette sacro-sainte économie collaborative.

Passe la boutique à ton voisin

Bien évidemment l’idée ne vient pas de nous, et plusieurs expérimentations du genre voient peu à peu le jour à l’étranger comme chez nous. Parmi les plus marquants, nous retiendrons trois modèles bien différents et tous aussi séduisants les uns que les autres : la bibliothèque d’objets à Berlin, le magasin de produits périmés à Boston et le supermarché vraiment collaboratif à Paris.

Le premier se nomme Leila Borrowing shop et a ouvert ses portes dans la capitale allemande il y a deux ans déjà. Son principe : plus de 400 objets disponibles à la location à court terme, tous issus d’un don de particuliers. « Le magasin fonctionne sur la base du volontariat et le loyer est entièrement financé par des dons » précise le site Décisions Durables.

Le fondateur du Borrowing shop à Berlin, Nokolai Wolfert 

Le second modèle porte le nom énigmatique de The Daily Table et devrait ouvrir ses portes dans la banlieue ouvrière de Boston en mai prochain. C’est tout simplement l’un des premiers supermarchés à mettre à disposition uniquement des produits dont les dates de péremption sont expirées.

Le fondateur compte également proposer à ses clients la consommation de plats préparés à base d’aliments périmés. Et tout ceci à moindre prix évidemment. « À titre d’exemple; 4,5 litres de lait coûteront 1$ soit 0,73€ » indique CitizenPost. Rappelons que l’imitation d’un tel projet est pour l’instant totalement bannie en France puisque la vente  de produits « dépassés » y est totalement illégale.

Enfin, le canidé du commerce de proximité : le prestigieux supermarché collaboratif La Louve. Cette belle entreprise n’a en fait au départ rien de français puisque elle est à l’origine de deux talentueux américains passionnés de bonne bouffe et d’agriculture bio :

« Ensemble, Tom Boothe et Brian Horiha ont décidé de se lancer en 2010 dans la folle aventure de la Coopérative la Louve, en s’inspirant de la Park Slope Food Coop de Brooklyn. Rejoints pas de nombreuses personnes partageant leurs préoccupations, ils créent en 2011 l’Association les Amis de la Louve et un groupement d’achats, qui servira de laboratoire et de tremplin pour la création du futur supermarché collaboratif La Louve. »

Le pitch est ici assez différent des deux exemples précédents : en effet, la Louve fait le pari de commercialiser des produits plutôt haut de gamme à des tarifs plus qu’acceptables. Pour ce faire, la supérette n’est pas un projet qui se montera en solo, mais bel et bien en meute :

« Association à but non lucratif, la Louve recherche la transparence dans tous ses actes d’achat, de vente, de gestion et d’administration. Elle est gérée et gouvernée par ses membres, lesquels assurent bénévolement – aux cotés de quelques salariés – la totalité des tâches nécessaires à son bon fonctionnement.

Concrètement, cela signifie que les membres doivent travailler 3h tous les 3 mois pour le groupement d’achats, puis 2h45 toutes les 4 semaines dès l’ouverture du supermarché en 2015 « 

Commerces collaboratifs everywhere

Bref, la machine est lancée : l’économie collaborative appliquée à la distribution courante s’urbanise lentement mais sûrement. Il ne manque plus que le modèle se généralise un peu plus jusqu’à remplacer une partie de nos Monoprix et autres H&M…

Face à ce constat, on rêve plus que tout de voir la science fiction contemporaine s’imprégner des aspects low techs du futur. En remplaçant la figure du « centre commercial volant » par celle d’une rue commerçante gérée de façon entièrement collaborative, par exemple ?

Comment vivrions-nous notre consommation journalière si la moitié du tissu commercial urbain actuel était remplacé par des spécimens collaboratifs variés ? La révolution écologique en cours ne doit-elle pas passer par des mutations de nos pratiques de consommation (et donc avant tout par nos façons de produire et de distribuer) avant de penser à l’optimisation de nos manières de détruire / stocker (en recyclant nos déchets par exemple) ?

On vous laisse réfléchir sur ces questions, en espérant que celui ou celle qui révolutionnera la science fiction de demain se cache parmi nos potentiels lecteurs… Et avant que ce messie prospectif n’arrive jusqu’à nous, n’hésitez pas à nous faire part, en commentaires, d’autres exemples de commerces collaboratifs qui vous auraient marqués.

C’est ça la superette du turfu ? PTDR

(1) Le think tank OuiShare définit l’économie collaborative de la façon suivante : « Une économie dans laquelle les modèles peer-to-peer, communautaires, participatifs et distribués transforment l’ensemble des activités économiques, de la production à la distribution des biens et des ressources, en passant par les services et styles de vie collaboratifs. »

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