28 novembre 2017
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L'observatoireArticles

Architecture japonaise : caresses du temps qui passe et qui vient

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Voici le troisième et dernier billet de Camille Cosson, qui se passionne d'architecture contemporaine et explore les modes d'habiter au Japon. Depuis la période d’Edo jusqu’à nos jours, la maison japonaise incarne le terrain d’expérimentation privilégié des architectes de l’archipel. Voyez de quelles manières ces maîtres d'oeuvre poussent toujours plus loin leur ingéniosité pour la conception et la réalisation des espaces de vie d'aujourd'hui.

Pour embrasser ce captivant sujet, relisez donc le premier et le deuxième volet de cette série d'articles rédigée en terres kyotoïtes. A travers six exemples de choix, ce triptyque nous montre ainsi que, malgré de modestes attributs, l'esprit nippon a toujours une carte d’avance pour nous faire éprouver les recherches sur l’habitat de demain.

Le 28 novembre 2017 - Par qui vous parle de ,

Une architecture par étape, dans le temps et l’espace

House of 33 years
Nara Prefecture, Nara city, 2013
ASSISTANT, Michihara Mori + Ariyama Chu

Crédits photo : Takumi Ota, Kei Nakajima

Comme nous l’apprend le site de référence Archdaily, le projet “House of 33 years”1 porté par l’agence d’architecture ASSISTANT s’est construit simultanément dans trois villes différentes (à Nara, Sendai, et Aomori). Ainsi, les architectes Michihara Mori et Ariyama Chu (situés à Nara) ont travaillé en partenariat avec Aomori Contemporary Art Center et Sendai School of Design.

La structure métallique extérieure principale a été réalisée sur place à Nara en attendant d’accueillir les autres parties de la maison. A Aomori, les architectes invités en résidence ont mis au point les parties intérieures : une curieuse armature en bois (déniché sur place) créée en collaboration avec des charpentiers locaux2.

« The ‘Ghost House’ which was built by students of the sendai school of design – image courtesy of megumi matsubara / assistant » – via designboom

Pendant ce temps là, à Sendai, les étudiants de l’école de Design s’occupaient de mettre au point la troisième partie de la maison, un petit pavillon destiné à être posé sur le toit. La structure en question fut présentée dans la cour de l’école durant l’été et utilisée comme serre collective pour les étudiants à la main verte…

Les deux morceaux délocalisés de la « House of 33 Years » ont finalement été démontés et transportés jusqu’à Nara pour ensuite être remontées et fusionnées avec la structure métallique principale.

“They broke House of 33 Years, which had been designed as a single house, into parts suitable for making in the two programs, so that the architecture would “move,” so to speak. Each work was also realized as an individual installation piece on which additional features were elaborated, responding to demands from the institution, characteristics of the space, and the chosen method of exhibiting.” – voir sur Archdaily

Les architectes ont voulu, pour ce projet, mettre en oeuvre une architecture en mouvement, contrastant avec les méthodes classiques de construction. Particulièrement au Japon, où les maisons individuelles en structure bois s’érigent à une vitesse phénoménale… Ici, la démarche des concepteurs passait donc par une déconstruction spatio-temporelle du développement et de la fabrication de l’édifice. Et si, avant de former un tout, les différentes parties de notre habitat vivait une existence propre le temps d’une exposition ?

Le Japon c’est la tradition, et puis aussi la modernité

Curved Roof house
Kyoto Prefecture, Kyoto, 2015
Nakanishi Hiromu

Crédits photo : Nakanishi Hiromu

Représenté par le leitmotiv “linking and linked architecture”, le cabinet d’architecture créé en 2008 par Nakanishi Hiromu s’efforce d’explorer le lien entre l’architecture et le contexte de son implantation. Pour le projet « Curved Roof House » réalisé à Kyoto en 2015, son concepteur souhaitait rénover une machiya traditionnelle tout en lui ajoutant une extension moderne.

La partie existante de la maison a ainsi été rénovée dans le style classique d’une machiya kyotoïte, en conservant les boiseries foncées et une partie des tatamis au sol. Dans le même temps, l’espace intérieur a été totalement ouvert afin d’aérer l’ensemble des pièces à vivre. La partie « extension » du logement a quant à elle été pensée dans un style plus récent, avec des boiseries claires et de larges ouvertures sur le jardin… Mais la pièce maîtresse de cette maison d’archi tradicontemporaine c’est évidemment sa toiture courbe, rappelant la silhouette « à l’ancienne » du temple voisin.

En somme, les architectes de la « Curved Roof House » ne pouvaient mieux choisir leur ville d’accueil qu’en la figure de Kyoto, ancienne capitale impériale et grande garante de la culture tradionnelle nippone… Rappelons-le, la valeur suprême de ce jeune cabinet s’incarne dans une volonté d’intégrer au mieux l’architecture dans son contexte. Si le défi était grand en choisissant cette cité patrimoniale comme site d’hébergement d’un tel projet, la rénovation et l’extension de cette bâtisse ancienne sont aussi subtiles qu’ingénieuses !

Se jouer du temps

Au Japon, la notion de pérennité dans la construction n’est pas une qualité essentielle pour l’habitat, qui généralement se déconstruit et se reconstruit tous les trente ans. Dans les deux projets présentés ici, la question de la temporalité est mise en jeu.

Crédits photo : Tadasu Yamamoto

Tout d’abord, avec le cas de « House of 33 years », le processus architectural n’est pas stationnaire comme dans une construction classique : il est conçu et matérialisé dans une évolution, dans un mouvement de fabrication. En bâtissant dans différents endroits, à des temporalités différentes, l’édifice n’est plus un bâtiment figé dans le temps et l’espace, mais devient une installation artistique qui se construit, s’expose, voyage, se déconstruit, pour se reconstruire et se fixer enfin.

Crédits photos Nakanishi Hiromu

Revenons enfin sur le projet de Nakanishi Hiromu. La rénovation est une pratique urbanistique assez rare sur l’archipel, bien moins répandue que dans nos contrées qui ne jurent que par les vieilles pierres. Au Japon, les constructions légères en bois priment dans certains cas sur l’impérissable, ce qui permet de bâtir, détruire et rebâtir rapidement. Sans nécessité de “rénover”, on préférera reconstruire à l’identique en préservant un savoir-faire plutôt que le matériau. Cependant, la ville de Kyoto cherche de plus en plus à mettre en valeur son patrimoine bâti en rénovant d’anciennes machiya. Des projets comme celui présenté par l’agence Nakanishi Hiromu nous montrent ainsi une belle utilisation de l’architecture contemporaine au service de la tradition !

  1. Surnommé de cette manière parce que ses commanditaires souhaitaient une nouvelle maison après avoir vécu 33 ans dans la précédente []
  2. Cette installation porte le nom d’Obscure Architecturee et fut présentée en tant que telle à l’exposition “Kime to Kehai” tenu au Aomori Contemporary Art Center []

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