13 novembre 2017
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L'observatoireArticles

Architecture japonaise : revisiter l’ancien pour transcender l’habitation

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Toutes les maisons présentées dans la série d'articles que nous inaugurons aujourd'hui ont été citées dans un magazine publié au Japon en Août 2017. Ce dernier s'intitule en japonais 家づくりの教科書 - 理想の住空間のベストサンプル, et plus lisiblement en anglais : "Finest Homes of the 21st Century Vol. 5".

Divisée en différents thèmes (traitement de la lumière, circulation de l’air, etc...),  cette publication extraordinaire de la revue Casa vise à présenter les derniers modèles d'architecture habitable, édifiés récemment dans l’archipel japonais. Parmi une foultitudes de beaux projets, il a été bien difficile de faire un choix, mais nous avons quand même réussi à vous préparer une sélection de nos coups de coeurs...

Le 13 novembre 2017 - Par qui vous parle de ,

Bien qu’une fois ne soit pas coutume, c’est de nouveau pour vous faire découvrir les curiosités et ingéniosités de l’habitat nippon que notre reporter kyotoïte et chercheuse en architecture japonaise contemporaine Camille Cosson reprend la plume. De fait, le thème est loin d’avoir été écumé – et de vous avoir lassé, on l’espère !

C’est donc reparti pour un tour d’horizon de l’architecture japonaise contemporaine habitable, version 2017… Le texte qui suit est le premier billet d’un triptyque sélectif (pour vous : le 2e et le 3e), alors délectez-vous de toute cette matière, car vous n’avez pas fini de vous émerveiller !

S’inscrire dans le paysage urbain et le contempler

House in Ishikiri
Osaka prefecture, Higashi-Osaka, 2013
Design : Tato Architects, Shimada Yo

Crédits photo : Shinkenchiku Sha

Cette maison familiale édifiée sur le mont Ikoma surplombe la plaine d’Osaka. Achevée en 2013 par l’architecte Shimada Yo de l’agence Tato architects, la construction se compose de trois volumes hétérogènes. Les formes et les matériaux s’enchevêtrent harmonieusement pour un résultat surprenant. Perché sur un cube de verre et de bois, le bâtiment semble suspendu dans les airs…

Malgré ces caractéristiques puisant dans une esthétique architecturale somme toute « contemporaine », la maison  s’insère délicatement dans un quartier résidentiel des années 1930. Pour ce faire, l’architecte a cherché à s’imprégner du contexte urbain existant pour mieux intégrer sa réalisation dans l’environnement d’accueil :

“Rethinking the whole residential are from the way that this house exists would suggests us to rediscover potentials and richness of all elements and space among those with different histories in the area.” sur ArchDaily

Les différentes parties de l’habitat présentent ainsi une particularité stylistique rappelant des procédés de l’urbanisme local. Un dialogue avec le paysage urbain s’instaure donc de différentes manières.

Crédits photo : Shinkenchiku Sha

Tout d’abord, l’architecte a choisi de surmonter la construction d’un volume reprenant la forme archétypale de la maison à toit pentu. Le volume d’entrée, quant à lui, est souligné par une toiture terrasse longiligne blanche, sous laquelle vient se nicher un cube d’acier et un espace vide servant de garage. La chambre principale s’imbrique dans une partie du volume “maison” (le plus élevé), offrant ainsi à ses occupants une vue imprenable sur la plaine depuis le balcon. Le vitrage suit parfaitement la forme du toit pentu, offrant un panorama de la ville à travers un prisme pentagonal singulier.

De la sorte, divers recoins de la maison d’Ishikiri avantagent « le point de vue », et invitent à la contemplation du dehors. Logée entre les deux blocs principaux et longée par un mur de béton brut, la pièce de vie profite par exemple de deux façades entièrement vitrées qui s’ouvrent complètement sur le jardin. De la même manière, le toit-terrasse plat filant renforce ce sentiment d’ouverture sur l’horizon. Enfin, la double hauteur au centre de la pièce (créée par l’imbrication du séjour dans le volume à toit pentu) accentue la sensation de légèreté, donnant sans doute aux habitants le sentiment d’habiter dans les nuages…

Habiter comme on s’abrite

KASA (Maison Parapluie)
Shizuoka prefecture, Yaizu, 2016
Mount Fuji architects studio, Harada Masahiro + Harada Mao

La maison “Parapluie” (Kasa en japonais) a vu le jour en 2016 grâce au cabinet Mount Fuji architects studio, formé de Harada Masahiro et Harada Mae. Ce couple d’architectes basé à Tokyo depuis 2004 se revendique d’une nouvelle génération, privilégiant la « substance » sur les « concepts » dans le processus de création architecturale.

Crédits photo : Mitsumasa Fujitsuka

Vivant à Yaidu (dans la préfecture de Shizuoka, non loin du Mont Fuji) depuis plus de quarante ans, le client (et père de l’architecte Harada Masahiro) rêvait d’une maison où puissent vivre les trois générations de la famille, regroupées sous un même toit. Devant de telles expectatives, l’enjeu était donc de taille pour l’architecte autant que pour le fils…

La difficulté d’une maison multi-générationnelle réside toujours dans le savant dosage entre unité familiale et respect de l’intimité de chacun. D’autant plus dans ce contexte, où la communauté de quartier est très forte et les relations de voisinage conviviales.

“When a new house would be rebuilt here, I thought that a typical form of a house, such as defining clearly the inside and outside by walls, is not suitable for this place. However, a psychological ‘house’ without unity and centrality doesn’t fit the client family consisting of 3 generations. The resolution is the form of ‘an umbrella” – sur Divisare

La subtilité de réussir à manier tous ces aspects a amené l’architecte à adopter la forme non conventionnelle d’un “parapluie”. L’utilisation d’une telle structure reposant sur un pilier central permet d’ouvrir une grande pièce dans laquelle toute la famille peut se réunir. Extrêmement aéré, cet espace largement vitré côté jardin évite l’éventuel sentiment d’étouffement qu’un lieu de rassemblement pourrait procurer.

Cette structure centrale autour de laquelle s’enroulent les espaces plus « individuels » de la maison rappelle un autre de leur projet construit à Tokyo en 2009, la “Tree House”.

Le jeu de l’entre-deux

Dans les deux projets évoqués ici, la pièce centrale est un espace de vie ouvert sur l’extérieur. Les traditionnels shoji, (portes japonaises coulissant sur l’extérieur) sont remplacés ici par de généreuses baies vitrées s’ouvrant sur le jardin. Les limites dedans-dehors sont floutées, privilégiant une relation de proximité avec l’extérieur, inspirée des maisons traditionnelles japonaises. Cette impression est renforcée dans les deux projets par l’utilisation de la terrasse en bois, qui agit comme un entre-deux et endosse la transition avec l’extérieur à la manière d’un engawa.

« Un Engawa (縁側 ou 掾側) est une bande de sol suspendue généralement en bois et se trouvant juste devant la fenêtre ou les volets des pièces dans les maisons traditionnelles japonaise. Depuis peu, ce terme peut aussi désigner la véranda à l’extérieur de la pièce, et que l’on appelle généralement un nure’en. » – Wikipédia

La minutie de ces deux réalisations dans le traitement de la transition intérieur-extérieur rappelle clairement la relation que la structure de la maison traditionnelle japonaise créait avec son jardin. Suivant cette architecture particulière, la pièce de réception offre la possibilité d’ouvrir ses larges portes coulissantes sur l’extérieur privé. Elle se prolonge alors généralement par une véranda, où la transition avec le dehors est évidemment essentielle…

Vue sur l’étang du jardin dans Ranma 1/2

De plus, le jardin y était agencé pour satisfaire l’oeil du spectateur, assis sur les tatamis de la pièce de réception pendant la dégustation rituelle d’un thé vert. Contrairement aux jardins occidentaux, la perspective du jardin japonais ne consiste pas un jeu avec le point de fuite, mais bel et bien une succession de plans, invitant le spectateur à contempler la nature agencée là, proche et lointaine.

Avec les maisons d’Ishikiri et « Parapluie », les architectes s’imprègent des rudiments de l’art d’habiter nippon traditionnel pour les réinterpréter de façon plus « moderne » ; et ainsi s’adapter aux modes de vie et exigences d’aujourd’hui… Qui a dit que l’architecture contemporaine pouvait se passer de la subtilité de nos ancêtres ?

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