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Banlieue molle, banlieue LOL ? Cinq questions à Eric Chauvier, anthropologue

Le 20 octobre 2011 - Par qui vous parle de , , ,

[Avant propos : Suite de nos rapports en vrac du festival Livresse (Charleroi), avec l’interview-off d’Eric Chauvier, anthropologue et auteur de Contre Télérama :

Interpellé par un article sur la “mocheté” de la banlieue paru dans un “hebdomadaire de la capitale”, en l’occurrenceTélérama [ici], Eric Chauvier dresse un tableau de la réalité quotidienne des zones périurbaines contemporaines. Sous la forme d’un carnet de notes à mi-chemin entre l’écrit littéraire et l’enquête ethnologique, il définit l’essence de cette société demeurant habituellement dans l’ombre.

Toutes les illustrations viennent du meilleur tumblr du monde.]

Dans ton livre, tu parles de « banlieues molles » pour décrire ces territoires péri-urbains voire « rurbains » où vivraient entre 15 et 20 millions de français. Qu’est-ce que tu souhaitais décrire comme situations à travers cet adjectif qui fait nécessairement réagir ?

Au travers de ce  mot, qui est une appellation de sociologue reprise par les médias, je souhaitais principalement montrer à quel point on ne dit rien sur cette péri-urbanité là – banlieue de zones marchandes et pavillonnaires, rurbaine comme on dit aussi, saturée de panneaux publicitaires et d’échangeurs routiers. Ce qui est mou, c’est ce qui est indicible, inodore, invisible. Il s’agit donc d’un euphémisme pour dissimuler le fait qu’on ne sait rien dire de ces zones qui ne sont ni « riches » ni « sensibles » et qui échappent finalement à toutes les catégorisations. Des terra incognita en somme, mais où vivent, comme tu le dis, de 15 à 20 millions de français.  C’est ce scandale  anthropologique qui m’a poussé à écrire ce livre.

Les grilles de lecture utilisées pour étudier – et critiquer – ces espaces sont aujourd’hui principalement d’ordre esthétique ou écologique. Quelles autres grilles de lectures pourraient / devraient être utilisées pour mieux comprendre ces territoires ?

L’urbanisme ou l’écologisme reposent sur la conception d’un monde-objet et proposent des modèles d’analyse où l’être en tant que « personne » (ses représentations, ses attentes, ses résistances, etc. ) n’est pas intégré – tels les modèles de morphologie urbaine ou les schémas écologiques.  Je me ‘‘bats’’ pour imposer une approche de la péri-urbanité comme monde vécu, à hauteurs des personnes qui y vivent. Les adolescents vivant dans ces zones déploient par exemple un sens créatif très poussé puisque les espaces sont moins institutionnalisés et plus sauvages, indécis.

Justement, qu’est-ce que l’anthropologie peut apporter aux disciplines urbaines classiques et par conséquent à la manière de produire la ville ?

Le maître mot de l’anthropologie, c’est l’enquête. Il s’agit d’être en immersion dans la vie périurbaine. Concrètement , c’est se rendre disponible pour les détails de cette zone tout à fait étrange si on décale un peu son regard ; c’est aussi se rendre attentif aux paroles échangées et, finalement, d’avoir une  sensibilité exacerbé pour la vie à hauteur d’Homme.

A partir de tes observations, quelle solutions imaginerais-tu pour « dé-mollir » ces territoires sans démolir leurs particularismes ? Un rapprochement avec ce qui se fait au niveau des friches urbaines est-il pertinent ? D’ailleurs, peut-on ou non considérer ces territoires comme des friches ?

Ces zones ne sont pas des friches, la comparaison est un peu sévère pour les personnes qui vivent là, entre une vie hyper-standardisée et des mode de résistances plus ou moins conscientisés. Dé-mollir ces zones, c’est avant tout les rendre connaissables (leurs particularismes, personne n’en parle, justement). C’est trouver des dispositifs (artistiques, littéraires mais aussi, bien sûr, anthropologiques), pour restituer la vie qui s’y passe et que personne ne parvient à décoder à l’heure actuelle.

Certains acteurs urbains évoquent la nécessité de re-créer des centralités au sein de ces espaces, notamment grâce aux télécentres (bureaux de télétravail accompagnés d’extra : commerces, cafés, etc.) Qu’en penses-tu ?

Récréer des centralités, oui, mais pour qui, avec qui et comment ?  Ce tissu social péri-urbain est plus hétérogène qu’il n’y paraît. La lutte des classes y est plus diffuse mais non moins réelle. Il serait dommage que ces centres périurbains fonctionnent comme les centre-villes, qui sont devenus des lieux hyper-codifiés favorisant des processus d’exclusion culturelle et économique (qui restent cependant à caractériser). Une ébauche de réflexion est  d’abandonner les grands projets urbanistiques ou écologiques pensés sans les résidants, de façon non démocratique donc. Il faut être à l’écoute de ceux qui vivent là, mais aussi les impliquer dans les processus décisionnaires. Reste que sur ce point, les élus cèdent à mon sens trop peu la parole à leurs administrés. Il y a encore trop de projets d’étalement urbain gérés ‘en interne’. Le problème de la ville périphérique est un problème qui engage le système politique en place.

Merci Eric !

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