13 janvier 2015
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L'observatoireArticles

De l’autre côté du mille-feuilles, parcheminer dans le métro

Le 13 janvier 2015 - Par qui vous parle de , dans , parmi lesquels ,

Depuis quelques semaines, certaines stations de la Ligne 12 – dont la station Marcadet-Poissonniers – connaissent une rénovation drastique, qui nous offre l’envers d’un décor auquel nos yeux s’étaient si longtemps habitués… En effet, les façades curvilignes de la station ont tout bonnement été retirées, laissant apparaître… une autre façade, curviligne elle aussi, mais diablement plus ancienne. Stupeur ! Les murs que nous croisons chaque jour ne seraient donc que des trompe-l’œil, des faux-semblants de façades derrière lesquels se cacherait un autre réel jusqu’alors inconnu ?

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 Crédits : Martin Lucas (@teratogenese)

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Dans notre tête, cette découverte a fait l’effet d’une bombe. Et si rien de tout cela n’était vrai ? Et si la ville qui nous entoure n’était qu’un vaste simulacre, à l’instar du film Dark City, ou du 1 bis rue Chapon, dans le 3e arrondissement de Paris ? Qui nous dit que les carreaux biseautés de notre vénéré métro ne cachent pas l’entrée d’une gigantesque grotte, dans laquelle se terreraient les reptiliens qui nous gouvernent ?

En réalité, il n’en est rien, du moins à Marcadet-Poissonniers. En revanche, il est une chose de sûre : ce mur en rénovation nous permet de voir, de nos propres yeux, cette « ville-palimpseste » qui par définition reste invisible la plupart du temps. Pour rappel, la ville-palimpseste, que nous avions illustré avec l’emblématique exemple de Donaldville, désigne la manière dont nos espaces se construisent par couches successives. Les murs en friche de Marcadet-Poissonniers nous en offre un cas très concret.

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Si la ville est un palimpseste, c’est-à-dire un parchemin sur lequel on a réécrit, alors la station Marcadet-Poissonniers est l’équivalent de la flamme d’une bougie – et d’un jus de citron – faisant apparaître un texte rédigé à l’encre invisible. Elle nous révèle ainsi les traces d’un passé, si discret dans nos rues. Les publicités d’un autre temps s’amoncellent les unes sur les autres, juste assez lisibles pour que l’on puisse les resituer dans le temps : tel graphisme renvoie aux années 1970, telle police a un look des sixties, tel slogan fleure bon les années 80…

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Crédit : Jennifer sur Flickr

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Crédits : Martin Lucas (@teratogenese)

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Crédits : Martin Lucas (@teratogenese)

Il arrive que la mise à nu de la station laisse entrevoir des traces moins colorées. Quelle ‘heureuse’ surprise de croiser ainsi, aux côtés de ces pubs en lambeaux, une affiche datant de 1942 ! Ce « décret sur la police, la sûreté et l’exploitation » nous renvoie instantanément à des heures quelque peu anxiogènes, et l’on peut d’ailleurs s’étonner que la RATP n’ait pas jugé bon de le retirer… ce dont on ne peut que les remercier. Détail intéressant, visible en zoomant : un passant contemporain a apposé sur graffiti, signant « ACAB hier, ACAB aujourd’hui ». ACAB pour All Cops Are Bastards, dont on vous laisse le soin de traduire.

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C’est d’ailleurs l’un des plus beaux enseignements de cette station-palimpseste. On y découvre ainsi, vieilli de manière uniforme par les années, le formel et l’informel mêlés : les résidus de publicités se frottent aux stickers déchirés, recouverts par des graffitis effacés et des bulletins d’information démodés. Impossible de savoir qui est quoi, de dater précisément chacune de ces « couches sédimentaires », mais le patchwork final est du plus bel effet.

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Crédits : Martin Lucas (@teratogenese)

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Crédits : Martin Lucas (@teratogenese)

La cerise sur le gâteau nous est offerte, non pas par les affiches d’une autre époque, mais par la poussière accumulée elle-même, que des petits malins ont logiquement utilisé comme support à leurs barbouillages. Le rendu final, certes cryptique, contraste de manière salvatrice avec nos espaces trop souvent aseptisés, rappelant en quelques sorte les « poullugraphies » du street-artiste Alexandre Orion.

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Nous ne pouvons que trop vous recommander d’arpenter les couloirs de Marcadet-Poissonniers, sur la ligne 12, pour respirer de vos yeux cette historiographie bariolée d’un siècle parisien, et mesurer la chance que nous avons de voir ce parchemin secret qui fait remonter le temps plus efficacement qu’une DeLorean lancée à pleine vitesse. L’ironie du sort est que la rénovation qui lui a permis de voir le jour, sera celle qui l’enterrera définitivement… au moins jusqu’au prochain arrachage. Et cela nous donnerait presque envie d’aller arracher d’autres pans de murs, d’autres façades et d’autres affiches, pour re-découvrir (littéralement) l’envers d’une ville devenue une scénographie parfois trop routinière. Peut-être est-ce là le futur de l’urbex : ne plus simplement explorer l’ancien, mais le défricher à la main ?

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Crédits : Martin Lucas (@teratogenese)

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