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La ville malade, confinements d’hier d’aujourd’hui

Le 30 mars 2020 - Par qui vous parle de , , dans , , parmi lesquels , , , , , , , , ,

Comme Louis Moulin l’évoquait la semaine dernière dans ces colonnes, la ville confinée est une thématique maintes fois traitée dans la culture populaire. Mais les récits fictionnels s’inspirent d’abord de différentes réalités, historiques comme contemporaines. Aujourd’hui, nous nous intéressons à la façon dont la ville se comporte lorsqu’elle est confinée. Quelles sont les réponses des pouvoirs publics pour résoudre la situation qui a mené au confinement ? Comment réagissent les populations ? Et quel impact cela peut-il avoir sur l’espace public ?

Aux origines du confinement

Mais avant que la ville ne soit confinée, il faut d’abord décider de mettre en application ce confinement. Et ça reste un phénomène “moderne”. A l’échelle de l’Histoire de l’humanité, nous ne connaissons les causes microbiennes des épidémies que depuis très récemment. Les “pestes”1 d’Athènes (430 à 426 avant JC) et antonine (165 à 180), ou encore la peste justinienne (541 à 542, avec des épisodes jusqu’au milieu du VIIIe siècle) et bien évidemment la peste noire (1347 à 1351) deviennent pandémies dès qu’elles touchent un grand centre urbain (Athènes, Rome, Constantinople et Gênes dans les cas qui nous intéressent ici). Malgré cela, les pouvoirs publics ne sont pas parvenus à contenir les populations, qui ont de fait dispersé davantage la maladie, avec des conséquences parfois dramatiques à des échelles continentales. Le confinement n’est donc pas une évidence universelle, loin de là.

Scène mythique de peste décadente dans les rues de Wismar (Allemagne) au XIXe siècle. Extrait de Nosferatu, fantôme de la nuit, adaptation libre du Dracula de Bram Stoker par Werner Herzog en 1979 

Cela dit, on s’est rendu compte relativement tôt de la relation entre la proximité entre les personnes et la propagation de la maladie. Ainsi, le terme quarantaine – et son dérivé actuel, la “quatorzaine” – vient du vieux vénitien quarantena, qui à partir du XVIe siècle désigne la période de 40 jours d’isolement imposée aux navires accostant dans le port de la Sérénissime.

Les premiers cas d’isolements étendus de malades à l’échelle d’une ville en Europe sont enregistrés à partir du XVIe siècle à Londres, lors des nombreux épisodes de peste que la capitale anglaise connaît à cette époque. Ainsi, lors de la peste de 1563, le gouvernement de la City, en partenariat avec les paroisses de la ville, demande à ce que les malades et leurs proches ne viennent plus à la messe. Le conseil des ministres de la Reine Elisabeth Ire impose même aux foyers londoniens d’allumer des feux dans les rues à 19h00 pour purifier l’air.

Scènes de la grande peste de Londres de 1665

En France, l’exemple le plus ancien que nous ayons de confinement urbain remonte à 1720 et à la peste de Marseille. Là encore il s’agit d’un épisode de peste bubonique, ramené par un navire marchand, le Grand-Saint-Antoine. Après une période d’incertitude, les échevins de la ville – l’équivalent du conseil municipal de Marseille – font fermer les portes de la cité phocéenne pour empêcher toute entrée ou sortie de la ville (et donc ralentir la propagation). Dans la foulée, le Régent – Louis XV, qui n’a alors que 10 ans – fait envoyer des médecins de la prestigieuse université de Montpellier pour aider les marseillais.

Le peintre Michel Serre a peint la peste marseillaise à plusieurs reprises. Ici en 1721 : Vue du Cours pendant la peste de 1720

On le voit, dans ces cas historiques, la décision d’enfermer les habitants vient d’abord des pouvoirs locaux. Directement présents sur le terrain, à une époque où un message met une semaine pour parcourir la distance séparant Marseille de Paris, cela semble raisonnable. Le pouvoir national n’a alors pas accès à l’information en temps réel, et ne peut offrir qu’un secours a posteriori, qu’il s’agisse de mesures d’allègement fiscal2 ou d’aides financières.

#RestezChezVous

Aujourd’hui, les situations sont plus variées et sont généralement prises au niveau national. On l’a vu en France, les politiques de confinement se sont d’abord faites au cas par cas, à l’échelle de communes ou de départements (dans les Hauts-de-France notamment), avant d’être appliquées à tout le pays le 16 mars 2020. Il en est allé de même en Chine, en Italie ou encore en Espagne. Mais la règle du cas par cas s’applique encore, essentiellement dans les Etats fédéraux comme en Allemagne, et plus particulièrement aux Etats-Unis où les gouverneurs de chaque état sont décisionnaires sur l’application ou non du confinement. Il y a aussi certains cas où la décision de restreindre les déplacements des habitants a été prise sans attendre et directement au niveau national comme au Danemark, en Norvège ou en Pologne. Enfin, certains pays ont fait le choix de ne pas appliquer le confinement au profit du dépistage de masse, comme en Corée du Sud ou au Vietnam.

L’idée du « Drive-corona » est également arrivé en France

Dans le cas où le confinement n’est pas une obligation, différentes solutions sont mises en place. Le cas de la Corée du Sud est désormais connu : établissement, à une large échelle, de tests de dépistage dans l’espace public – et parfois même en drive-in ; suivi strict des malades en retraçant leurs déplacements sur la semaine précédant la découverte des symptômes (quitte à utiliser pour cela la géolocalisation de leurs appareils mobiles et leurs cartes bancaires, et donc faire une brèche dans le droit à la disposition des données personnelles !). Au Vietnam, certaines villes ont créé des chambres de désinfection mobiles ((Dans lesquelles on passe parfois cette chanson désormais célèbre, il est tout de même important de le noter.)).

Tant qu’à faire, ils auraient pu en profiter pour reconvertir les cabines téléphoniques abandonnées pour appuyer l’esthétique Doctor Who

Mais entre l’annonce de plans de prévention et leurs applications, il y a un pas à franchir. Comment contenir une population urbaine qui a l’habitude de sortir en masse et de peupler les terrasses et parcs dès que les premiers rayons de soleil se montrent ? La réponse : bien difficilement, mes amis.

La ville pendant le confinement (sans les joggeurs)

En Europe, à l’annonce des mesures à venir des différents confinements, bon nombre d’urbains ont pris la fuite vers “la campagne”3 (zone mythique qui, en France, désigne tout ce qui se situe à l’extérieur de la Petite Couronne ; en Italie, c’est tout ce qui se situe au sud du Latium) avant l’entrée en vigueur de la restriction stricte de mouvement. En outre, nombreux sont celles et ceux, en France, mais aussi au Royaume-Uni ou en Irlande, à s’être permis un dernier verre ou un dernier repas en dehors de la maison avant la fermeture indéfinie des commerces dits non essentiels. Ces cas ne sont pas inédits : les chroniques racontant la peste noire rapporte elles aussi la désertion des villes. Il en va de même avec la peste de Marseille. Logiquement, on remarque que ce sont bien souvent les habitants les plus aisés qui s’en vont (étant propriétaires de maisons secondaires).

On est pas tous égaux devant le confinement, n’est-ce pas Lord Byron

Face à ces comportements peu civiques, l’autorité publique, qu’elle soit locale ou étatique, doit sévir. Ainsi, formulaires de circulation avec amendes pour les contrevenants qui auraient oublié leurs papiers (en France et en Italie, par exemple), patrouilles de police, voire de l’armée (en Espagne) et couvre-feux (à Nice, Perpignan, La Roche Sur Yon…) peuvent être décrétés. Et lorsque ces mesures ne suffisent toujours pas, les édiles eux-mêmes peuvent intervenir4.

Crise du papier hygiénique et DJ aux fenêtres

Comment, vit-on alors confiné·e·s au quotidien ? Alors que toute interaction sociale est fortement limitée faute de lieux de socialisation, que font les urbains qui n’ont pas fui la ville ? Eh bien d’abord, ils comptent les malades et les morts. Si la litanie macabre que l’on lit, entend ou voit quotidiennement en ces temps de Covid-19 renvoie à la froideur scientifique de la statistique moderne, elle entre en réalité dans une continuité multi-millénaire. Par exemple, dès la dynastie des Qin (IIIe siècle avant JC), en Chine, des rapports sont émis et centralisés dès qu’une épidémie éclate dans une région de l’empire. Ainsi, les autorités locales et centrales peuvent suivre et contenir la propagation de la maladie. A Londres, dès le XVIe siècle, les paroisses notent scrupuleusement les décès hebdomadaires, que ces morts soient liées ou non à la maladie ; et à partir du XVIIe siècle, ces données sont largement publiées et diffusées. Ainsi, les entrées de l’année 1665 – année où la peste a frappé la capitale anglaise – du journal de Samuel Pepys rendent compte de ces rapports paroissiaux et permettent de constater l’avancée de la maladie quartier par quartier.

Chanter les morts > les compter

Ensuite, les citadins font des réserves. Si la peur du manque semble un peu irrationnelle dans les pays dits développés aujourd’hui, avec ses razzias de papier hygiénique et de pâtes sèches, elle renvoie à des réalités beaucoup plus dures et pas si lointaines : la guerre, ou l’état de siège. La question de l’approvisionnement des villes en nourriture et en eau propre est une constante qui existe certainement depuis la révolution néolithique, le développement de l’agriculture et la sédentarisation progressive de l’espèce humaine. Au fil du temps, diverses mesures ont été prises par l’administration des villes pour essayer de prévenir les famines et les disettes (chose difficile à des époques où la production agricole était tributaire du climat et où les rendements étaient limités) : préfecture de l’annone5 dans la Rome antique, réserves non périssables stockées dans la Grande Muraille de Chine, qollqa6 incas… L’idée est évidemment de nourrir la population urbaine, mais aussi de prévenir le marché noir et les divers trafics qui échapperaient au contrôle de l’autorité urbaine.

Pour tuer l’ennui et se nourrir au mieux, les Français… font du pain

Surtout, les citadins s’ennuient. C’est certainement encore plus vrai à notre époque où la ville est souvent synonyme d’activités hors de chez soi. Certains écrivent leur ressenti de la situation, comme en attestent la multitude de journaux de confinement qui essaiment sur Internet. En cela, ils et elles se placent dans la lignée d’autres auteurs et autrices du confinement, notamment Boccace7, qui a écrit son Décaméron au moment où la peste noire sévissait à Florence. Mary Shelley a écrit son Frankenstein alors qu’elle était cloîtrée sur les bords du lac Léman durant la fameuse année sans été de 18168.  D’autres affirment que William Shakespeare aurait écrit Le Roi Lear en 1606, reclus chez lui alors que la peste sévissait en Angleterre. Mais cette théorie reste controversée.

« Il est grand temps de relancer mon blog Medium », comme a dit Mary Shelley

Mais le confinement donne naissance à de nouvelles manières d’expression. On cherche un peu d’espoir et on (re)découvre son voisinage dans cette période incertaine. En Chine, dès que la quarantaine a été mise en place, on pouvait voir des gens se défier à la danse d’un immeuble à l’autre. En Italie et en Espagne, les gens chantent aux fenêtres et des DJs mixent pour tout le quartier. En France, 20h00 est devenue l’heure des applaudissements (voire des feux d’artifice) aux personnels médicaux.

https://twitter.com/MsieurMadameX/status/1242742637985239041

Le confinement, toute une esthétique

On aurait pu passer encore des signes et des signes à comparer le temps passé en confinement sur Animal Crossing : New Horizons avec les passes-temps de nos ancêtres mais on préfère s’arrêter là pour garder votre attention pour le prochain billet. Car dans un deuxième temps, on a prévu de vous parler des conséquences de l’épidémie et du confinement sur la ville elle-même, et ses activités. On essayera également de réfléchir aux conséquences à venir de la crise que nous traversons aujourd’hui.

  1. On met des guillemets ici, parce qu’il ne s’agit pas toujours de peste type Yesinia Pestis (qui est la souche de peste la plus connue, celle qui a causé la peste noire du XIVe siècle). []
  2. Lors de l’épidémie de variole qui frappe le Japon entre 735 et 737, le gouvernement impérial décide de ne pas lever l’impôt pour ne pas enfoncer davantage les populations survivantes. []
  3. D’après Martin Hirsch, directeur de l’APHP, 17% de la population parisienne aurait quitté la capitale avant que les mesures de confinement n’entrent en application. Ce chiffre est calculé sur la consommation électrique dans la capitale après la mise en application du confinement. []
  4. On ne compte plus les compilations de maires italiens insultant leurs administrés. Regardez-les, c’est souvent drôle. []
  5. Selon Wikipédia, l’annone est un impôt en nature instauré pendant l’Antiquité romaine. C’est un service public chargé de distribuer le blé, géré par le préfet de l’annone. []
  6. Toujours selon Wikipédia, les qollqa ou collcas étaient, à l’époque inca, des dépôts ou des silos, servant à la conservation à grande échelle de produits agricoles ou d’objets manufacturés, réservés à l’usage de l’État. De taille et de forme variables, ils étaient parfois construits sur le sol parfois semi-souterrains, de forme circulaire ou quadrangulaire. []
  7. On notera que les personnages de l’oeuvre phare de Boccace s’échappent de la ville pour fuir à la campagne et sont tous issus de bonnes familles. Comme quoi, on n’a rien inventé. []
  8. Cette “absence” d’été est très probablement liée à une catastrophe naturelle, l’éruption du volcan Tambora de 1815, qui a propulsé une énorme quantité de microparticules dans l’atmosphère terrestre, provoquant cet hiver volcanique. []

1 commentaire

  • Quel talent d’écriture Thomas! Ton article est vraiment très intéressant.
    Merci, bonne continuation et porte toi bien.
    Daniel

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