24 novembre 2015
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L'observatoireArticles

Prospective du bord de route #1 : une vie de roots !

Le 24 novembre 2015 - Par qui vous parle de ,

Le bord de route est un objet (r)urbain que l’on côtoie trop rarement pour lui-même. On y fait frotter les pneus de sa voiture à vive allure, on y traîne ses pieds désespérés la nuit tombée, on s’y arrête encore pour demander de l’aide et faire une pause au cours d’un long voyage… mais on ne le considère jamais vraiment comme un espace à part entière. Le bord de route ne serait donc qu’un non-lieu peuplé de panneaux publicitaires oubliés, d’animaux laissés pour morts, et de déchets catapultés depuis les fenêtres de véhicules mal élevés ? Nombre d’imaginaires sinistres définissent en effet ces aménagements hybrides, entre passages obligés et territoires abandonnés.

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Pourtant, bien d’autres usages et représentations caractérisent cette marge urbanistique. Les fameuses aires de repos autoroutières en sont une illustration aménagée des plus évidentes. Il existe en outre pléthore de pratiques, phénomènes ou aménagements singuliers qui gravitent autour des bords de route, et c’est justement ce qui nous intéresse. Ici et ailleurs, aujourd’hui comme hier, les pourtours routiers se sont vus réappropriés, voire encensés et réenchantés… Voilà qui justifie qu’on aille y puiser nos inspirations : aucun morceau de territoire ne mérite négligence, alors partons à la conquête de ces lisières en voix d’extinction.

Du bout de nature au cimetière en bordure

Ce que l’on appelle ici « bords de routes » concerne l’ensemble des chemins de traverse qui sillonnent notre pays de long en large. Et ce sont surtout les petites routes de campagne, nationales, départementales, périphériques et autoroutes que nous étudierons. La route de ville à la française étant la plupart du temps munie de trottoirs et de caniveaux, le rôle de ses rivages mériterait un égard différencié.

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En France, la majorité des bordures routières sont considérés comme de véritables « milieux vivants » à conserver, qu’il convient de gérer de manière optimisée. Les techniques habituellement employées (broyage, traitement pesticides etc.) pour l’entretien de ces frontières herbeuses sont bien souvent considérées comme peu appropriées. « Banalisation du milieu« , « pollution des eaux de ruissellement, atteintes à la biodiversité, érosion des talus dénudés » : une multitude de conséquences fâcheuses sont ainsi engendrées par la mauvaise gestion communale de ces espaces mi-goudronnés mi-sauvages.

En dehors des questions essentielles de leur gouvernance écologique, la deuxième problématique inévitablement associée à ces espaces est la sécurité routière. Car les routes de campagne ne sont pas composées que de jolies espèces de chardon ou de vieilles fontaines en pierre à préserver… On leur attribue également de solides bordures, panneaux, lampadaires et autres platanes parfois mortels. Maintes fois pointées du doigt par les automobilistes comme étant la cause de divers accidents meurtriers depuis l’invention de la voiture, ces potences rurbaines existent en fait depuis l’époque napoléonienne. Par corollaire, les bords de route incarnent bien souvent un espace allié à la mort, ce fléau routier que les autorités tentent de réduire tant bien que mal grâce à diverses procédures communicationnelles ou législatives. Lors de vos voyages en rase campagne ou sur de grisâtres autoroutes, vous aurez ainsi mille occasions de croiser de lugubres cénotaphes, qu’ils soient sous la forme de croix chrétienne, de gerbe fleurie ou de mannequin humanoïde. Rien de plus sinistre en effet que de traverser ces zones mémoriales en plein départ de vacances lorsque retentit Nostalgie dans l’autoradio familial…

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Chargés de cet imaginaire funèbre bien réel, les bords de route forment aussi une certaine allégorie de la déroute et de la perdition. Situés au milieu de nulle part, ils sont arpentés à pied par toute sorte d’âmes en peine, de l’auto-stoppeur aux spectres jadis motorisés.

Aire de repos cherche urbanités

Le bas-côté pâtit donc de multiples représentations mortifères, et c’est notre bien-aimé urbanisme qui est depuis longtemps le mieux placé pour venir réchauffer ces bouts de ville obscurs. Sur les longues distances parcourues par réseaux routiers, divers aménagements sont ainsi disposés à intervalles plus ou moins réguliers. Dès lors, l’agencement paysager de ces routes sans fin se révèle bien souvent caractéristiques d’un pays à l’autre.

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Les autoroutes à la françaises regorgent ainsi d’aires de repos/de services (et autres zones de péage) que l’on a tous fréquenté à l’occasion – pour faire le plein, prendre un café ou faire un p’tit pipi au cours d’un long trajet. Fréquentées jour et nuit par des gens de passage, ces zones de halte incarnent un trope obligatoire de tous les départs en vacances. Malgré tout, ces équipements routiers ne brillent pas d’une réputation de grand confort. Rien à voir en effet avec la fréquentation ordinaire d’un centre-ville, ou la convivialité d’une virée au centre commercial… L’aire d’autoroute peut donc être perçue comme une étape forcée (les campagnes de prévention contre le sommeil au volant ont d’ailleurs redoublé d’effort pour les promouvoir ces dernières années), et plus généralement comme un lieu un peu froid et artificiel. Pis, lorsqu’il s’agit d’une aire ne prévoyant qu’un bloc sanitaire, les toilettes y sont souvent sales (et à la turque ! ! !), l’eau n’est pas potable, et le papier manque. Bref, l’arrêt de cinq minutes sur un grand axe n’est pas toujours très glamour.

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Ce désamour est d’autant plus vrai qu’à leur échelle, les aires d’autoroute font partie intégrante de cet urbanisme « dévorant la campagne » française. Soucieux de leur fréquentation, les grands concessionnaires et exploitants d’infrastructures autoroutières travaillent donc d’arrache-pied, depuis quelques temps maintenant, pour améliorer l’expérience des voyageurs de passage. Car l’approvisionnement en carburant s’est petit à petit transformé en recherche d’une véritable trêve, incluant restauration et délassement.

Le réenchantement est en cours

Ce sont notamment VINCI Autoroutes et ses partenaires (enseignes pétrolières, commerciales et exploitants d’enseignes de restauration) qui souhaitent « réinventer la pause » sur leurs aires en densifiant les services promus, « à la manière des centres commerciaux« . D’autres objectifs sont également en jeu dans ce programme de « modernisation » des aires :

« Les nouvelles aires sont conçues pour la sécurité et le confort des piétons : des parkings proches des commerces, des voies plus sûres interdisant la circulation des poids lourds au milieu des familles, des aménagements prévus pour les personnes à mobilité réduite ou tout simplement les personnes avec des poussettes. La préservation de l’environnement fait partie intégrante des travaux de modernisation des aires : bâtiments économes en énergie et certifiés HQE, éclairages à basse consommation. Les gestes éco-citoyens seront encouragés : poubelles permettant la collecte tri sélective, sensibilisation à la biodiversité locale… »

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Cette collection de « Roadside Humor Postcards » des années 1940 est un fantastique puits de représentations des bords de routes américaines de l’époque

Ces espaces de halte perdus au bord des routes seront-ils donc bientôt aussi attractifs que des centres commerciaux bien pensés ? On aura en tout cas remarqué que, par petites touches, apparaissent dans nos bonnes vieilles aires de services des objets bien incongrus comme un fauteuil de massage ou des sandwichs pain complet-caviar d’oignons. Les concessionnaires en quête de raffinement pour les autoroutes de France arriveront-ils à les enrober de nouveaux imaginaires réenchantants ?

De notre côté on pense que les vacances, les boules à neige hideuses et l’odeur de pipi forment déjà des représentations tenaces et bien cool (même si ça ne vaut pas un motel miteux et une roadside architecture démodée comme on en trouve sur les routes américaines). Aujourd’hui, ces espaces perçus comme sans âme sont malgré tout devenus une sorte de bulle intemporelle où le kitsch des souvenirs vendus stagne avec les tables de pique-nique crottées par les fientes d’oiseaux. S’est même développé un plaisir personnel à venir y chercher en pleine nuit les distributeurs à pièces poussiéreux, qui renfermeraient jadis des petits jouets rétro à collectionner…

Rendez-vous à la station service la plus proche de chez vous pour la suite des épisodes, on parlera de la reconquête de ces soit-disant « non-lieux » qu’on adore.

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