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Vancouver, ville-transformiste : un happy ending pour la ville mondialisée ?

Le 17 septembre 2015 - Par qui vous parle de , , , dans , parmi lesquels , , , , ,

Tony Zhou est un jeune cinéaste, auteur d’Every Frame A Painting, une merveilleuse série de podcasts vidéo dans lesquels il décrypte le cinéma avec une clarté déconcertante. Nous dégustons chaque nouvel épisode à la pause déj’, afin d’en savoir plus sur le génie classique d’Akira Kurosawa jusqu’au mal-aimé Michael Bay. Aussi, quelle ne fut pas notre surprise de découvrir que le dernier épisode en date était justement consacré à notre sujet fétiche : la ville comme héroïne de pellicule, ici incarnée par la méconnue Vancouver.

« Perhaps no other city has been as thoroughly hidden from modern filmmaking as Vancouver, my hometown. Today, it’s the third biggest film production city in North America, behind Los Angeles and New York. And yet for all the movies and TV shows that are shot there, we hardly ever see the city itself. So today, let’s focus less on the movies and more on the city in the background. »

N’hésitez pas à cliquer sur CC pour accéder aux films mentionnés dans la vidéo !

Welcome to Hollywood bis

Originaire de Vancouver, Tony Zhou dresse un portrait fascinant de cette ville qu’il connaît si bien, et qu’il repère donc aisément au détour de dizaines de films, la plupart du temps des blockbusters étasuniens. Ses façades servent ainsi de décor à de très nombreux films et séries, puisqu’elle accueillerait près de 10% de la production hollywoodienne… Une liste plutôt complète est d’ailleurs disponible ici. Les cinéphiles éclairés ne seront guère étonnés : Vancouver est en effet considérée comme la « troisième ville » du cinéma nord-américain, derrière Los Angeles et New York, et en compétition avec Toronto. Comme l’expliquait un article de 2012 consacré à cet « Hollywood du nord » :

« Filmer à Vancouver a trois avantages: c’est moins cher [notamment sur le plan fiscal, ndlr], on a plus de libertés, surtout pour les scènes en extérieur, et il y a de bonnes installations et une grosse concentration de talents. En 2011-2012, trois méga-blockbusters hollywoodiens ont misé sur Vancouver: Mission: Impossible – Ghost Protocol, Superman: Man of Steel et Twilight: Breaking Dawn. »

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Les expatriés français sont d’ailleurs au courant du filon depuis de nombreuses années. Sur les forums dédiés, les conseils et recommandations s’échangent :

« Vancouver est l’endroit le plus proche de Los Angeles en terme de logistique. Il y a donc des films, des séries mais ce sont des films et des séries américaines en majorité. Le recrutement se fait à Los Angeles pour les techniciens comme le chef-op (ASC) ou l’ingé-son, le reste sur place. Mais à Vancouver, les canadiens sont prioritaires, et la plupart du temps il y a déjà des syndics, donc si vous êtes français, il vaut mieux auparavant postuler aux Etats-unis ou même en France (des séries franco-américaines sont régulièrement tournées à Vancouver comme The Raven, par exemple [ou encore Les 4400, ndlr]). L’avantage pour les productions américaines, c’est le taux entre le dollar américain et canadien et les infrastructures présentes au Canada, et bien entendu la langue. »

L’élégance du caméléon

Mais à la différence des autres grandes cités de l’audiovisuel nord-américain, c’est surtout par son caractère caméléon que Vancouver se distingue, comme le montre si bien Tony Zhou. S’il est commun de filmer dans des décors dits de « substitution« , Vancouver s’est faite une spécialité d’incarner tour à tour New York, San Francisco… et même Pyongyang dans le récent The Interview ! Le cas de Mission: Impossible – Ghost Protocol est à ce titre emblématique, puisque Vancouver se métamorphose, en quelques dizaines de minutes, en trois décors a priori bien différents : d’abord en Seattle (1), puis en Prague (2), puis finalement en Bombay (3) reconnaissable aux saris et aux voitures couvertes de couronnes de fleurs (sic) :

Vancouver Never Plays Itself sur Vimeo - Google Chrome_2

Vancouver Never Plays Itself sur Vimeo - Google Chrome_3

Vancouver Never Plays Itself sur Vimeo - Google Chrome_4

Pour ce faire, la ville se maquille telle un transformiste : ici de drapeaux, là de journaux, et autres signes distinctifs des localités qu’elle est sensée incarner. Ce travail de grimage est d’ailleurs une précieuse compétence sur les plateaux de tournage, comme l’explique une intervenante apparaissant dans le film Everything’s Gone Green :

« My specialty is disguinsing Vancouver so its looks like an american city »

Peu de villes peuvent ainsi se targuer d’être à ce point modifiables à l’envi1, et surtout sans que cela ne gêne le spectateur lambda. De par son origine locale, Tony Zhou y est forcément plus sensible, et nous partageons d’ailleurs son ire. C’est par exemple avec effroi que nous avions reconnu les rues de Prague… au second plan des séquences parisiennes de G.I. Joe. Scandaleux, diront les parisiens de souche ! Mais plutôt compréhensible, la capitale hexagonale étant foncièrement plus coûteuse que son homologue tchèque (ce qui ne l’empêche pas d’attirer foultitude de tournages, mais ceci est une autre histoire…).

Quelle unité pour une ville sans identité ?

Mais à la différence de Paris, Vancouver attire justement parce qu’elle ressemble à n’importe quelle autre ville… et c’est ce qui agace profondément Tony Zhou dans la seconde partie de sa vidéo, plus vindicative que ses constats liminaires. Peut-on se satisfaire, quand on aime sa cité comme il semble l’aimer, qu’elle n’ait pas pas réellement d’identité propre ? En ce sens, Vancouver évoque les villes-simulacre présentées dans Matrix – comme par exemple dans la célèbre séquence de la « robe rouge » : des villes sans âme, semblables à n’importe quelles autres mégalopoles occidentales, dans lesquelles transitent des passants similaires à n’importe quels passants… (il semblerait que cette séquence ait été tournée à Sidney, ndlr)

Mais à l’instar du caméléon, qui survit justement parce qu’il sait se fondre dans l’espace environnant, Vancouver puise son succès dans son absence de particularismes locaux. On peut s’en indigner, comme Tony Zhou qui regrette qu’il n’y ait pas davantage de films marqués du sceau vancouvérois. Mais on peut aussi, sans pour autant se faire les avocats du Diable, voir dans cette capacité transformiste un atout non-négligeable pour anticiper les économiques lendemains.

A l’heure où toutes les villes tendraient à s’uniformiser sous le joug de la mondialisation, Vancouver ne peut-elle pas être perçue comme une source d’inspiration pour toutes les villes sans identité propre, et qui se cherchent un modèle économique ? Ne ressembler à rien de spécial, c’est potentiellement ressembler à tout et donc in fine attirer ceux qui sauront en faire une force : les maquilleurs urbains, artistes de tous bords qui sauront exploiter ce diamant brut qui ne demande qu’à être modelé. Quel pourrait être la Vancouver hexagonale des films et séries françaises, par exemple ? A supposer qu’elle n’existe pas déjà, évidemment (on proposerait bien Vélizy-Villacoublay pour les Oscars).

D’autant que cette capacité à se travestir en n’importe quelle ville aura permis à Vancouver de consolider son expertise du grand écran, en attirant en son sein des talents toujours plus nombreux, qui pourront à leur tour nourrir l’imaginaire cinématographique de la ville… et de la peindre telle qu’elle est vraiment. C’est du moins le vœu de Tony Zhou dans la conclusion de sa vidéo. On ne peut que leur souhaiter, à lui et à sa cité bien-aimée, de trouver le chemin du succès.

  1. Le plus fascinant est ainsi de constater que certains lieux emblématiques (tels que l’université de Vancouver) prennent une toute autre fonction dans le cadre d’un blockbuster ricain. Une bonne leçon d’humilité pour l’architecture, qui ne décide pas franchement de l’imaginaire qu’elle laisse dans l’inconscient collectif. []

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