L'observatoireArticles

Mirror’s Edge Catalyst : et je trace trace trace cette ville qui me plaît

Le 24 mai 2016 - Par qui vous parle de , , , , , dans parmi lesquels

La sortie prochaine de Mirror’s Edge Catalyst, reboot du jeu Mirror’s Edge sorti en 2008, nous a donné envie de parler d’une des spécificités de ce jeu à la première personne : le déplacement urbain.

Il y a 8 ans, le “Sens Urbain” désignait ainsi le pouvoir mystérieux des “Messagers” réhaussant de rouge le mobilier à parkourir. Cependant, l’origine de ce dispositif restait floue : instinct de survie du Messager ou augmentation technologique d’un futur dystopique ? Malgré ce vide scénaristique notoire, la mécanique semblait suffisamment intéressante pour qu’on l’aborde chez Chronos peu après la sortie du jeu.

Une récente note, publiée sur le blog officiel du studio DICE, détaille la refonte du “Sens Urbain” dans Catalyst et nous donne des pistes pour une transposition dans la réalité… augmentée ?

tumblr_mgwg0pPV4f1r8vjbro3_500

(Don’t) Shoot the Runner

Mirror’s Edge premier du nom a marqué les esprits grâce à une cohérence quasi-parfaite entre une direction artistique unique et un gameplay épuré.
Vous incarnez Faith, une Messagère – sorte de coursière Foodora de l’ombre dans une ville où l’information est constamment filtrée par le gouvernement. Un politique influent est assassiné et vous et votre sœur jumelle policière, Kate, toutes deux présentes sur les lieux, devenez la cible de la société de sécurité de la ville. Vous vous échappez mais Kate est arrêtée. À vous de la libérer et d’élucider les raisons de l’assassinat. Un lundi banal.

Le design épuré de la ville sans nom que vous parcourez est d’autant plus impressionnant que vous ne voyez que ça : votre écran est dénué des habituels apparats vidéoludiques tels que mini-map, barre de vie, des pouvoirs, et autres atours.
Seul un réticule (petit point bleu pâle au centre de l’écran) vous indique où Faith regarde très précisément… et encore, vous pouvez faire disparaître cette modeste lueur d’interface.
Dès lors, que voit-on outre la ville et un point bleu ?

Baissez la tête et, miracle : Faith a des jambes et des bras bien visibles, fait rare dans les jeux en vue à la première personne. Regardez devant vous et parmi les bâtiments immaculés apparaissent des sorties de climatisation rouge, une gouttière rouge, une porte rouge. C’est votre « Sens Urbain » qui vous parle. Il ne définit pas votre propension à aider les vieilles dames à traverser la route, mais votre instinct de yamakasi à traverser la ville sans heurt. En revanche il n’indique pas la voie la plus optimale, mais simplement les éléments qui vous mettront à coup sûr dans le droit chemin vers la fin du niveau.
Libre à vous d’expérimenter les figures et les chemins qui vous semblaient inaccessibles auparavant, la pratique vous permettant de trouver votre flow dans une ville à apprivoiser…

Screen Shot 2016-05-17 at 15.24.35

Comme évoqué en introduction, c’est sur la diégèse du Sens Urbain, c’est-à-dire son intégration narrative dans l’oeuvre, que cette cohérence se perd :

– d’une part, il est un élément d’interface (car ce n’est pas une vision naturelle) qui permet au joueur de naviguer à travers l’environnement de façon claire, et qui se fond totalement dans le décor aux couleurs contrastant avec le blanc des toits. Il y a une symbiose entre la mécanique et le visuel qui fonctionne à un niveau instinctif, le cerveau comprenant l’intérêt du rouge et le regard se mettant à la recherche du moindre indice.

– d’autre part, le Sens Urbain est malheureusement réduit à “un instinct” des Messagers, sans plus d’explication. Est-ce grâce à leur entraînement ? Sûrement. Dans cette ville moderne et technologiquement avancée, pourrait-il s’agir d’une augmentation d’aide au déplacement dont l’utilisation est devenue naturelle pour les Messagers ? Peut-être.

Screen Shot 2016-05-19 at 12.01.16

Il faut admettre que l’histoire n’est pas le point fort du Mirror’s Edge original. Qui vous jouez ? -> Faith qui fait du parkour. Pourquoi vous êtes pourchassée ? -> parce que vous faites du parkour. Comment vous vous échappez ? -> en faisant du park-OK vous avez compris.

Cette distanciation entre le Sens Urbain et la technologie coïncide avec une période, 2008, où la réalité augmentée émergeait en tant qu’outil indispensable du futur proche. Tout comme la réalité virtuelle aujourd’hui. Au-delà de la hype, un grand monsieur du jeu vidéo, Will Wright (le créateur des Sims), avait sorti une petite phrase qu’on aimerait entendre plus souvent : « Games could increase our awareness of our immediate environment, rather than distract us from it. »

Voir le Glass à moitié plein

Cinq ans plus tard, ce premier Mirror’s Edge avait acquis une notoriété de bijou délaissé, imparfait et certainement jamais repris. Mais stupeur : par une belle journée d’E3 (le grand salon international annuel du jeu vidéo), Electronic Arts, éditeur du jeu, balance alors contre toute attente un teaser pour Mirror’s Edge Catalyst devant un public plus qu’agréablement surpris.

Est-ce une suite ? Non, ma bonne dame, c’est bien d’un reboot dont il s’agit !

Mais qu’y a-t-il de nouveau ? Déjà, un scénario. La ville de Glass a un passé houleux de révolutions et manifestations, basé sur les éléments narratifs du premier opus et qui donne une explication à son design urbain futuriste digne des modèles 3D du Grand Paris. De plus, Faith sort tout juste de prison et a une personnalité plus complexe : elle n’est plus la simple prodige du parkour qu’elle était. Et le Sens Urbain fait enfin sens.

À sa sortie de prison, Faith dévie de sa nouvelle vie en moins de 10 minutes dès qu’un Messager, Icare, lui annonce que son mentor Noah l’attend. Il lui donne alors quelque chose, un beatLink que Faith reconnaît et met tout naturellement sur son globe oculaire. Rien de ce qui se passe alors n’est explicité, mais tout est compréhensible : Faith vient de mettre une lentille de contact connectée à un réseau similaire à l’Internet, the Grid.

Screen Shot 2016-05-16 at 14.54.05

Sauf que l’on remarque qu’il ne semble pas fonctionner comme prévu, affichant des notifications de compte en banque, une banderole d’informations en continu inutiles au jeu… Mini-map mise à part, l’interface acquise n’est pas faite pour jouer mais pour vivre un quotidien des plus banals.

Cette interface rappelle le projet Google Glass, qui intègre agenda, météo, et qu’est-ce qu’un GPS sinon une mini-map ? Des lunettes aux lentilles de contact, il y a un grand pas à franchir, celui de la miniaturisation des composants. Mais l’idée existe bel et bien.

Faith fait remarquer à Icare que quelque chose ne va pas, et il y installe the Beat, le logiciel de parkour des Messagers qui est reconnaissable à ses trois fonctionnalités : Réalité Augmentée, Sens Urbain, Communications. L’origine de votre interface est expliquée sans que jamais ni texte ni intervention ne soit utilisé, formant ainsi une explication 100% diégétique et vraisemblable, évitant ainsi de vous faire sortir de l’univers joué !

Screen Shot 2016-05-16 at 15.00.00

Il faut noter que tout ce que nous connaissons du beatLink, nous le déduisons. Faith sait exactement ce qu’elle fait, elle connaît sa ville sur le bout des doigts et a une bonne expérience de son outil. C’est un choix audacieux de la part de DICE que de perdre le joueur dans une ville qui lui est inconnue sans mini-map et de le laisser entre les mains de Faith et des autres Messagers.
Au lieu de prendre le joueur par la main et de lui expliquer haut-bas-gauche-droite dans un tutoriel (comme dans le premier Mirror’s Edge), DICE fait ici confiance aux référentiels technologiques de son public. De cette manière, le joueur est amené à s’enjailler en explorant un terrain urbain totalement inconnu, et ceci sans y intégrer d’interface superflue.

Et si Mirror’s Edge Catalyst présentait la vision de demain ? D’après Mark Scheurwater, ingénieur logiciel chez DICE :

[Avec] cette lentille, Faith verra des éléments signalés par d’autres Messagers revêtir une couleur particulière.

Dans le monde de Catalyst, the Beat est donc constamment mis à jour avec les données d’autres Messagers (issues de leurs trajets antérieurs). Le procédé se calque ainsi sur des applications existantes telles que CityMapper, utilisant les données des opérateurs de transport pour optimiser les trajets quotidiens des usagers.

Nous avons donc une explication in-game qui coïncide non seulement avec des pratiques déjà mises en place, mais qui sont réellement utilisées !

rendition1.img

Le jeu va toutefois plus loin que l’existant, et c’est plutôt logique :

“Dans le monde plus ouvert de Mirror’s Edge : Catalyst, le système est forcément plus complexe. Les systèmes GPS classiques, qui ne composent qu’avec des routes, sont déjà compliqués mais nous, nous devions prendre en compte les bâtiments, les précipices et les surfaces inclinées.

[Pour relever le défi], nous avons essayé plusieurs approches. Au-delà de l’algorithme A* des GPS classiques, nous avons utilisé la télémétrie. Nous avons enregistré les déplacements des testeurs puis étudié leurs courses a posteriori. Nous avons ensuite mis ces statistiques sous forme de carte pour détecter les itinéraires du jeu.” – Mark Scheurwater

En jouant, vous verrez non seulement des fantômes et des fils rouges pour guider vos pas, mais également les mouvements les plus utilisés par d’autres joueurs durant les phases de test afin d’optimiser vos déplacements. La ville est plus ouverte que dans le premier opus et vous pouvez mettre votre créativité à profit dans des missions secondaires, et même pour votre bon plaisir quand vous n’êtes pas pourchassée.

Le système de réalité augmentée de Mirror’s Edge Catalyst condense la narration du jeu en une interface : le futur proche épuré de Glass et la surveillance de ses citoyens ; le hacking du réseau informatique pour avoir la liberté de se déplacer autant verticalement que dans les rues ; le partage consenti des données entre Messagers afin d’optimiser leur parkour.

Ce n’est pas demain que les écoles intégreront le parkour en cours d’EPS. En revanche, les opérateurs de transports pourraient bénéficier des recherches sur le déplacement en ville apportées par les studios. Pour atteindre le juste niveau de réalisme pour un jeu, un studio peut être amené à créer des outils uniques de traitements de données, comme ici avec un système de GPS à la fois horizontal et vertical. Tout comme les romans de science-fiction ont guidés la recherche scientifique, les jeux vidéo ouvrent des pistes pour résoudre les problèmes d’un quotidien bien réel. Peut-être y a-t-il là une source d’inspiration pour la navigation du futur ?

Laisser un commentaire