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Post-apo à la française : la fin du monde, l’aube de demain

Le 1 avril 2015 - Par qui vous parle de , , , , , parmi lesquels , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Un vieil adage dit qu’on apprend surtout de nos erreurs. Mais le problème avec les erreurs, me direz-vous, c’est qu’elles ont tendance à nous mettre dans la mouise. C’est la raison pour laquelle d’innombrables structures à travers le monde ont bâti des scénarios de crise destinés à les anticiper. À l’échelle suprême et touché par la grâce de l’art, cela s’appelle une œuvre post-apocalyptique.

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Guerre nucléaire, bouleversement climatique, segmentation des quartiers… derrière toutes les fins du monde imaginées par nos auteurs, le souffle d’une époque et d’un sentiment associés se cristallisent à travers les lieux représentés. La ville est alors mise au premier plan dans son rôle d’épicentre de la civilisation, à l’heure de son effondrement. Et contrairement aux croyances, la France regorge d’œuvres du genre. Un patrimoine presque unique au monde, que nous avons choisi d’explorer avec minutie.

1) 1850 – 1930 : Paris sera toujours Paris !

Parmi les œuvres les plus oubliées, la post-apocalypse à la française puise ses fondements dans le Second Empire. Héritière des Lumières, grande puissance coloniale, économique et culturelle – et bien qu’encore encline à l’idée d’inégalité des civilisations -, la France de la fin du XIXe siècle est à son apogée. Paris, qui accueille régulièrement l’Exposition Universelle, est alors perçue comme la capitale mondiale de l’art. C’est dans cet esprit d’apparence peu propice au genre « post-apo » que notre littérature connaîtra, jusqu’aux Années Folles, l’une de ses plus grandes dynamiques sur le sujet : l’archéologie du futur.

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Paris sous la Seine, grande inondation de 1910
note : un prochain article sera dédié à l’univers de la Crue, celui-ci étant transverse sur l’histoire du genre

Bienvenue à Paris, une poignée de millénaires après un cataclysme ayant obligé vos ancêtres à quitter cette patrie pour des latitudes plus clémentes. De cette ville battue par les vents, il ne reste que des ruines, et des avenues perdues où la nature a parfois repris ses droits. Mais avec une ténacité surprenante, se dressent encore et toujours les édifices qui portent en eux la légendaire splendeur de la capitale. On entre alors dans la cité comme dans une pyramide, en quête de ses souvenirs de grandeur.

Très inspirées de l’humour voltairien, ces œuvres s’avèrent riches d’enseignements quant à la vision que leurs auteurs avaient de leur époque. Nombre d’entre elles dénoncent ainsi l’absurdité d’une bourgeoisie survivante, partie s’exiler dans les colonies :

– à Nouméa dans Les ruines de Paris en 4875, d’Alfred Franklin (1875),

– à Madagascar dans Une expédition polaire aux ruines de Paris, d’Octave Béliard (1911),

– à Tombouctou dans La Vénus d’Asnières, d’André Reuze (1924),

– ou même à « Pôle-Sud-Ville » dans Paris en l’an 3000, de Henri Laurens (1910).

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 « Les voyageurs remisèrent leur aéronef au Panthéon »
in Une expédition polaire aux ruines de Paris, d’Octave Béliard (1911)

De même, il n’est pas rare que ces explorations de Paris mènent à la découverte d’une population locale à l’esprit unique. Qu’ils soient régis en micro-société utopique (L’An 5865, du Dr Hippolyte Mettais en 1865) ou en une horde de troglodytes enterrée sous le métropolitain (encore dans Une expédition polaire aux ruines de Paris, d’Octave Béliard), on retrouve presque toujours les mêmes traits de caractère que l’on suspecte être ceux des Parisiens de l’époque : bavards, râleurs, aux mœurs légères… Dans La Vénus d’Asnières d’André Reuze (1924), le personnage éponyme représente précisément la voix du lecteur, soit la normalité des Années Folles face à ces voyageurs étranges.

Enfin, cette littérature prend toute sa dimension par la subtilité de l’éloge qu’elle rend à la Ville Lumière. En effet, bien souvent, ces explorateurs du futur pourtant techniquement si avancés paraissent profondément à côté de la plaque quant aux interprétations qu’ils font de ce qu’ils voient. Ainsi, dans Les Ruines de Paris de Joseph Méry (1852), les archéologues se sont tant perdus en déductions farfelues qu’à leur retour au bercail, n’ayant rien saisi du génie de jadis, ils se félicitent de vivre à leur époque, si simple et claire.

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Issu du Crapouillot de 1919, intitulé « Le Crapouillot de l’an 3000 », et renfermant tout un tas de nouvelles sur le thème des ruines de Paris

Pierre Véron et son Déluge à Paris (1862) conservera cet esprit : dans un futur où le monde entier est devenu franc et honnête (« même les Académiciens« , c’est dire), ces hardis raiders vont d’interprétations ridicules en critiques ingénues. A l’instar de cette Vénus de Milo sûrement endommagée par les désordres du passé (aperçue dans La Vénus d’Asnières), nos visiteurs sont incapables de saisir la beauté de l’art comme de l’architecture, car cela nécessite une sensibilité qu’ils ont perdue au fil des âges (comme dans L’Aurore, de François Crucy en 1905).

La ville est au centre de ces récits dits en « zig-zag » : à la manière de Candide, les protagonistes voyagent d’un point à un autre, ici de monuments en musées, et en apprennent un peu plus à travers chacun d’eux. Au-delà de leur qualité intrinsèque, ces ouvrages qui témoignaient du prestige de la ville de Paris ont logiquement contribué à le perpétuer. La ficelle est grosse, mais fonctionne toujours aujourd’hui : en 2005, Nicolas de Crécy et les éditions du Louvre reprennent ce procédé dans la bande dessinée Période Glaciaire

2) Le tournant de la Grande Dépression

A partir de la crise économique de 1929, c’est tout l’état d’esprit de l’Europe qui a été bouleversé. Pour la première fois, la peur de l’avenir pénètre la littérature post-apocalyptique. Dans cet entre-deux guerres, les apocalypses relatées se rapportent clairement à la Première Guerre Mondiale ; le monde est en ruine, affaibli, traumatisé par un cataclysme que personne n’a vu venir. La société française tente alors de se remettre sur pied, glissant ainsi petit à petit vers les vices qui l’ont poussé à l’auto-destruction.

L’œuvre maîtresse de cette période est sans doute Quinzinzinzili de Régis Messac (1935) : entre la Lozère et la vallée du Rhône, le dernier des adultes prend sous son aile un groupe d’enfants qui progressivement vont réinventer l’amour, la haine, la religion… et la guerre. Dans le roman comme dans la vraie vie de l’époque, l’approche d’un second épisode belliciste devient jour après jour une évidence.

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 Une invasion de Macrobes, d’André Couvreur (1909) – via Le blog de l’imaginaire ancien

En plus d’être le premier signe de cet effondrement annoncé, le crash de Wall Street vient appuyer l’idée que les villes ne sont dorénavant plus des lieux exempts de misère ; plus encore, elles concentrent l’ensemble des torts et des perversions qui ont conduit à ce désordre mondial. Le mouvement de « retour à la terre » connait alors une grande effervescence. A l’image de Quinzinzinzili, les œuvres narrent des exodes ruraux de survivants fuyant la violence et la cupidité des cités pour partir en quête de souvenirs du passé. Mais cette période charnière n’est qu’un prologue à la culture post-apocalyptique telle qu’on la connaît aujourd’hui.

3) Des horreurs de la Guerre à la course au nucléaire

C’est évidemment avec la Seconde Guerre Mondiale, théâtre d’atrocités que le genre humain ne pensait pas un jour atteindre, que le genre va approfondir la densification de ses thèmes – dans la douleur, et adaptés à la sauce française. A la lecture des auteurs de cette période et de l’après-guerre, un même sentiment s’exprime : celui d’un monde avançant par oscillation, entre guerre et paix, sur la route de l’inhumanité.

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Parmi les rares avantages que l’on peut trouver au sortir d’une guerre, l’avancée technologique est une conséquence évidemment non-négligeable, qui plus est proportionnelle à l’intensité du conflit. Toutefois, personne n’oublie que ces découvertes sont le fruit du chaos et pourraient bien le redevenir, comme nous vous l’exposions récemment avec le traumatisme nucléaire japonais d’après-guerre. En France, la course à l’armement atomique a aussi donné lieu à diverses visions de terreur. On pensera par exemple à la célèbre Jetée de Chris Marker, un film-diaporama de vingt-huit minutes réalisé en 1962, et aujourd’hui encore considéré comme un chef-d’œuvre du cinéma d’anticipation (son scénario inspirera d’ailleurs, quelques années plus tard, Matrix et L’Armée des Douze Singes). Dans cet enfer parisien en ruine post-troisième guerre mondiale, sous un nuage radioactif étouffant, le narrateur constate : « certains se crurent vainqueurs, […] montaient la garde sur un empire de rats. » En sous-sol, des médecins effrayants travaillaient à torturer les prisonniers, usant de décharges électriques, à la manière des expérimentations nazies.

Les auteurs de l’époque voient ainsi la société comme déshumanisée, avançant sans se poser de question vers le progrès technique, suivant l’engrenage. La course au nucléaire en est pour eux l’exemple le plus désolant. Avec l’arme ultime, les humains n’ont même plus à vouloir simplement la paix, ils créent un modèle de société dans lequel tout le monde se tient en joug. Le sens moral n’est ainsi plus une nécessité, la dissuasion par la terreur l’a remplacé. Pour Jean-Luc Godard, cette acquisition s’est faite au prix de notre humanité. Dans son Nouveau Monde (1963), préfacé d’un message très explicite sur le sujet, une explosion atomique a eu lieu à 120 km au-dessus de Paris ; le héros, Jean ne reconnait plus Alexandra, la femme qu’il aime ; celle-ci semble comme lobotomisée. Jean comprend que cette explosion (aux conséquences pourtant réfutées par les experts) a donné naissance à ce nouveau monde tant redouté… (Notons que Godard conservera ce thème avec le film de science-fiction Alphaville en 1965.)

A l’image du nucléaire, beaucoup d’auteurs de ce temps partagent le sentiment d’un enfoncement de la société humaine vers la technique, à tel point que la paix est désormais maintenue uniquement grâce à cela. Au royaume de la machine asservissant l’Homme, la ville est d’ores et déjà perçue comme son trône. C’est dans cet esprit de ville hybride « 1.0 », que s’ancre l’incontournable Ravage de René Barjavel (1943). Lorsque, du jour au lendemain, l’électricité vient à disparaître sur Terre, le monde entier ne sait comment réagir, et sombre peu à peu dans l’abîme. Le héros quitte alors Paris, mégalopole de 25 millions d’habitants, toujours dans cette logique d’exode rural. Bien que plus moderne, et dans un esprit résolument plus écolo, on peut faire le parallèle avec Le Monde Enfin de Jean-Pierre Andrevon (2006) dont le héros, au crépuscule de sa vie, traverse les campagnes à cheval, seul, avec pour dernier souhait de voir la mer.

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Le pessimisme humain est alors à son paroxysme : le souvenir du passé, seul motif qui nous tient encore en vie, nous a définitivement échappé. Et la mort de ce souvenir nous conduira inéluctablement à la nôtre. Si cela est vrai pour La Jetée, cela l’est tout autant pour Le Nouveau Monde : Jean comprend qu’il ne retrouvera jamais l’amour d’Alexandra et qu’il ne tardera pas, lui aussi, à se déshumaniser.

4) La fracture sociale, de Paris 68 à Banlieue 13

Cette génération passée, une autre la remplace. Un élan littéraire va alors émerger de ces années 60, porté par une jeunesse qui n’a pas vécu la guerre, et donc n’a pas perdu espoir ; une jeunesse qui s’exprime, qui bouge et fait bouger, rompant avec la résignation et le fatalisme de ses aînés. Le récit s’accélère, les héros se battent ; les groupes se forment, s’opposent, et dans le large débat du « vivre ensemble », la ville elle-même pérennise leur segmentation.

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Les Eaux de Mortelune (1986-2000)

De ces baby boomers post-apo à l’esprit soixante-huitard, on retiendra notamment l’audacieux Spinoza encule Hegel, de Jean-Bernard Pouy (1983)1. Dans cette dystopie, les événements de mai 68 ont conduit à une France Mad Maxienne et à un Paris devenu le terrain d’une guerre de gang opposant spinozistes à hegeliens. Par l’intérêt qu’en porte cette génération, et pour la première fois dans cette littérature, de nouvelles centralités urbaines apparaissent (La Sorbonne, Corentin Cariou). Les centralités traditionnelles, qui représentaient jusqu’alors les pouvoirs politiques et religieux en place, sont au contraire dégradées (Sacré Cœur, la Chambre des Députés…).

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La Foire aux immortels d’Enki Bilal (1980-1993)

On découvre ici la vision d’une fracture générationnelle, et une évidente volonté de césure avec des pouvoirs conservateurs et corrompus. La série de bandes dessinées Simon du Fleuve (1974-89) reprend ces thématiques : autour des années 67-68, un virus touche les jeunes du monde entier, mais les dirigeants ne s’en préoccupent pas, focalisés à se partager le pétrole sur fond de Guerre Froide. Nomade, Simon va s’affairer à défendre les innocents contre les « maitres des cités ». Autre œuvre à bulles, Marseil de Michel Crespin (1985) finit de sacraliser la cité phocéenne comme ville voyou et corrompue : des populations à l’âge de pierre face à des dirigeants siégeant aux édifices historiques et monopolisant finances et technologies.

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L’Autoroute Sauvage, adaptation en bande-dessinée du roman éponyme de Gilles Sauvage

Après la crainte du progrès technique des années 1940, c’est donc l’argent qui est au centre de tous les maux, surtout à partir de 1980. La corruption, les écarts de richesse, en passant par la crise écologique (de plus en plus en vogue), sont ainsi des moteurs de haine et de violence entre les hommes. En tant que concentration d’hommes et de pouvoirs, la ville est le point central de ces vices. C’est dans ce contexte qu’apparait l’une des œuvres phares de cette période, L’Autoroute Sauvage de Gilles Thomas (alias Julia Verlanger, 1973). On y découvre un héros vif et combatif traversant l’autoroute déserte à pied, fuyant les villes, berceaux de la cruauté humaine.

Nombre d’œuvres similaires font effet d’intenses violences à l’heure où le monde s’écroule (Le Feu de Dieu de Pierre Bordage (2009), ou encore A comme Alone de Thomas Geha (2014)). Celles-ci jouent un double rôle, à la fois symptômes de la nature égoïste de l’être humain, et conséquences de la société sans âme que craignait Godard lorsque ses lois volent en éclats. Dans La Grande Nuit de André-Marcel Adamek (2003), le héros est d’ailleurs un spécialiste du comportement animalier, dont il reconnait les traits dans cette nouvelle humanité. Plus qu’un exode rural, c’est un mouvement vers le sud qui s’opère dans beaucoup de ces récits (Spinoza encule Hegel, Simon du Fleuve, L’autoroute Sauvage, Marseil, mais aussi Les Survivants de l’Apocalypse, de Pierre Barbet en 1982…), comme une fuite de la mégalopole parisienne qui, dans la vie réelle, est de plus en plus considérée comme un foyer de stress et de tensions.

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Le Néo-Paris dans Remember Me (2013)

Fuir la ville, c’est aussi remettre en question le « vivre ensemble ». Robert Merle s’y penche dans le célèbre Malevil (1972), où le château des survivants fait office de micro-cité. À travers ses personnages, il en expose les différents modèles sociétaux et leurs limites : la dictature, la démocratie, les pouvoirs de l’Église et de l’État… Les tensions qui en émergent sont les mêmes qui tiennent les citadins à distance les uns des autres ; le débat est alors ouvert : pourquoi avons-nous l’impression d’être plus proches des gens à la campagne, et plus éloignés quand on est en ville ?

Plus nous sommes concentrés, plus nous sommes opposés. Ce constat auquel nous arrivons a profondément bouleversé le genre post-apo en France. Dès son premier long-métrage, Luc Besson le mettait en lumière dans Le Dernier Combat (1983), un film quasi-muet en noir et blanc. Les hommes survivants (tous des mâles) ne sont en effet plus en mesure de se parler, probablement dû au cataclysme survenu il y a longtemps. Dans ce monde où le dialogue n’existe plus, les êtres ne semblent animés que par l’obsession de s’asservir ou de s’entretuer. La seule parole donnant son contraste à cet austère tableau, est un « Bonjour » échangé entre les deux protagonistes lors d’une brève inhalation de gaz.

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Banlieue 13 (2004)

L’un des éléments les plus significatifs du post-apo de cette période reste bien sûr la classification sociale des quartiers ; déjà présente dans Spinoza encule Hegel, on la retrouve sur tous les supports contemporains :

– le roman, avec le séduisant Pop et Kok de Julien Péluchon (2012). Dans un Rouen où les aisés vivent encore sur les hauteurs de Mont Saint-Aignan (banlieue huppée réelle), la classe moyenne tente de survivre au milieu des ruines, les zombies pédalent pour faire marcher les centrales et les régressifs se vouent à semer la pagaille ;

– la bande dessinée, avec la célèbre trilogie Nikopol d’Enki Bilal (1980-93), où Paris se découpe en deux arrondissements, l’un d’élite, l’autre de pauvreté ;

– le jeu vidéo avec l’enthousiasmant Remember Me (2013), peignant un Néo-Paris verticalement fragmenté en trois niveaux, des bidonvilles aux gratte-ciels ;

– le jeu de rôle papier, avec Cendres de Stéphane Chapuis (2002), où la Seine sépare la rive nord de la Communauté Européenne Restaurée, industrielle et structurée, de la rive sud, zone de non-droit violente et sans avenir ;

– le cinéma enfin, avec le fameux Banlieue 13 de Pierre Morel (2004), et sa suite de Patrick Alessandrin (2009), bien qu’il s’agisse davantage d’une dystopie que d’une œuvre post-apo, dans lesquelles les cités-ghettos parisiennes sont littéralement emmurées et livrées à elles-mêmes… sur un scénario de Luc Besson, vous l’aurez sans doute deviné.

5) L’espoir, un nouveau moteur ?

Comme nous l’évoquions en préambule, l’Histoire a tendance à s’oublier au fil des générations, pour le pire… mais aussi pour le meilleur. Il semblerait en effet qu’au fil des décennies, le désespoir de nos aïeux s’estompe et qu’à l’image de L’Autoroute Sauvage, une fin heureuse soit envisageable même après l’apocalypse. Certains ne verront là qu’un leurre, une soumission au positivisme du happy ending sur fond de bourrage de crâne hollywoodien ; d’autres préféreront y déceler un nouvel élan, une nouvelle manière de faire passer des idées.

Une sorte d’anti-Godard : donner le goût de l’espoir et l’envie d’avancer. Il est de coutume, au café du commerce, de fustiger la France comme un pays figé, où les élites se mobilisent presque uniquement pour empêcher le changement. C’est dans cette sombre France du XXVIe siècle que François Descraques a imaginé son Visiteur du Futur : un clochard-rêveur décidé à changer la phase du monde en voyageant dans le temps pour déjouer les catastrophes du passé. Face à lui, une brigade temporelle (plus tard financée par l’État français) qui a justement vocation à garder la situation figée.

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 Le Visiteur du Futur (2009-2014)

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard s’il est précisé que dans le futur, on peut trouver des machines à voyager dans le temps « dans les poubelles » ; n’importe qui pourrait décider d’agir, or si personne d’autre que lui ne l’ose, c’est parce qu’il est le seul à avoir eu un aperçu du bonheur (attention spoiler). Comme disait Ménélik, « on a coutume de dire que la vie est dure, moi je me bats pour le futur, quelle aventure ». Un comportement proactif, un bonheur dans le changement, un espoir dans le progrès technique, ajoutez à cela une bonne dose de décentralisation (Néo-Versailles, Malakoff)… à l’image de son histoire, c’est une véritable rupture avec le passé. La websérie de Descraques, déjà vue par certains comme un pilier français du genre, est-elle un cas isolé ou précurseur d’une nouvelle vague ? La réponse dans les prochaines années.

Lanceur d’alerte pour le futur

En somme, qu’il s’agisse de la redécouverte d’un passé glorieux ou de l’autopsie d’une catastrophe annoncée, l’œuvre post-apo fige pour l’éternité un phénomène de société. Dans un monde où l’œil ne peut désormais se tourner que vers le passé, elle donne une vision plus philosophique de la condition humaine, et tire le signal d’alarme sur les risques inhérents au cap que nous prenons, qu’ils soient d’ordre technique (progrès, machinerie), politique (cycle de guerres sans fin) ou social (segmentation du peuple).

Si certains peuvent estimer que plusieurs apocalypses prédites ont bel et bien eu lieu (comme en témoignent les excellents documentaires « Apocalypse » d’Isabelle Clarke et Daniel Costelle), celles qui nous pendent au nez sont déjà présentes dans la littérature depuis des décennies. Aurons-nous alors la sagesse de les déjouer, ou devons-nous juste espérer que nos survivants sauront une fois de plus s’en relever, et vivre avec leurs regrets ? L’avenir était pourtant couché sous nos yeux.

  1. dont les titres des deux suites sont tout aussi forts de subtilité []

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